Quelle vie est possible après Daech? Depuis cinq ans, les journalistes Céline Martelet et Edith Bouvier suivent des femmes condamnées pour des tentatives d'attentat ou pour avoir rejoint les rangs du groupe Etat islamique en Syrie.
De leur procès à leur libération sous surveillance, en passant par leur évolution en détention et leur tentative de reconstruction, leur travail d'enquête a donné un livre, "Un parfum de djihad", qui raconte leur parcours avant et après leur décision de rejoindre l'organisation terroriste.
On voulait rentrer par derrière et tirer sur la foule. Recharger, retirer, faire un maximum de morts
Pour comprendre leur "après", il faut d’abord retourner en arrière et replonger avec elles dans ce qu'elles ont été. Hafsa, 19 ans aujourd’hui, est la plus jeune Française à avoir été condamnée par un tribunal pour enfants pour terrorisme. A 15 ans, elle était l’une des meneuses d'un commando de quatre jeunes filles qui a voulu attaquer une salle de concert à Paris, quelques mois après les attentats du 13 novembre 2015.
"On voulait rentrer par derrière et tirer sur la foule. Recharger, retirer, faire un maximum de morts", raconte-t-elle presque avec détachement, confiant qu'à l'époque, elle n'avait pas peur de mourir. Elle en parle librement aujourd'hui, parce qu'elle l’assure que tout cela, c’est fini.
La marche comme thérapie
C'est finalement la marche à pied qui lui permettra d’évoluer, après avoir accepté à reculons d'entrer dans un programme de réinsertion. "On marchait entre 10 et 25 km par jour, on faisait des rencontres (...). A force, je prenais goût à la marche et au paysage. Ça m'a permis de réfléchir, de méditer sur moi. Qu'est-ce que je voulais vraiment? Est-ce que c'était vraiment la vie que je voulais avoir, tuer des gens, mourir à 15 ans?"
Pour moi, les exécutions n'avaient rien de choquant. Ca m'arrivait de regarder ces vidéos sans ressentir que des humains étaient en train de mourir
Amel, de son côté, a tenté à sept reprises de rejoindre la Syrie alors qu'elle avait entre 14 et 17 ans. Elle voulait se marier et mourir sur place. "D'un coup, je suis rentrée dans le côté un peu obscur. Pour moi, les exécutions n'avaient rien de choquant. Ca m'arrivait de regarder ces vidéos sans ressentir que des humains étaient en train de mourir", avoue la jeune femme.
Elle est finalement arrêtée en janvier 2017 en Bulgarie, alors qu'elle est dans un bus en route pour Raqqa, en Syrie. Expulsée vers la France, elle est directement incarcérée. Pour la jeune femme, qui ne connaît rien à la prison, le choc carcéral est énorme et lui ouvre les yeux. "Je comptais les jours, j'attendais que ma mère vienne au parloir. Elle venait deux fois par semaine", souffle Amel. "Il y avait des moments où on n'avait même pas besoin de parler mais juste de se prendre dans les bras, pendant 30 minutes. C'est tout ce dont j'avais besoin, c'est ça qui m'a sauvée."
Suivie de près
Depuis sa sortie de prison, la jeune fille est suivie de très près dans le cadre d’un dispositif mis en place par les autorités françaises pour accompagner les profils comme elle. Elle passe beaucoup de temps avec un référent religieux, qui assure qu'elle va mieux, et envisage de faire de la prévention auprès des plus jeunes.
Je ne peux pas l'effacer, ça fait partie de ma vie. J'essaierai de colorier cette étiquette en rose, s'il y a moyen...
Olivia, elle, a réussi à rejoindre Raqqa en janvier 2015, avec sa fille de cinq ans. A son retour, la jeune Belge a été condamnée et incarcérée pendant 19 mois. Aujourd'hui libre, elle a repris ses études et aimerait, comme Amel, faire de la prévention pour éviter à d’autres de basculer. Elle essaie de se reconstruire, mais l'étiquette de terroriste lui colle à la peau: "De toute façon, je ne peux pas l'effacer, ça fait partie de ma vie. J'essaierai de colorier cette étiquette en rose, s'il y a moyen..."
Sujet radio: Céline Martelet, Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Vincent Cherpillod