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Comment les gilets jaunes ont changé la France (et certains ronds-points)

Le rond-point de Crolles, à 20 km de Grenoble, a été occupé en continu pendant un an. [RTS - DR]
Les gilets jaunes, un an après / L'actu en vidéo / 3 min. / le 15 novembre 2019
Un an après, au-delà des débordements et des manifestations annulées, le mouvement des gilets jaunes a permis à des Français qui se sentaient oubliés d'exister. Le géographe Luc Gwiazdzinski a documenté cette dynamique près de Grenoble.

Le 17 novembre 2018, près de 300'000 personnes mettent un gilet fluorescent pour protester contre la hausse des taxes sur les carburants en France. La mesure vient grever un budget déjà serré, trop c'est trop. Le gouvernement met du temps, mais finit par reculer. La colère contre sa politique sociale et fiscale ne retombe pas.

Le jaune devient tendance. Mobilisation des campagnes, de la France périurbaine, celle concernée par le prix du carburant, par la désindustrialisation, le chômage. Cette France populaire qui se sent oubliée fait porter sa voix.

>> Lire : Flambées de violences à Paris pour le premier anniversaire des gilets jaunes

"Il y a des gens qui étaient complètement isolés, qui étaient en grande précarité et qui n'osaient pas prendre la parole. Aujourd'hui, ils sont plus ou moins regroupés, notamment dans les gilets jaunes, et aujourd'hui, ils disent nous. C'est un corps qui existe, c'est un système qui existe et qui est devenu visible et ça, on ne peut pas en faire fi", relève le géographe Luc Gwiazdzinski.

Des chaises, un brasero, des palettes...

Enseignant-chercheur à l'Université de Grenoble Alpes, il s'est passionné pour le mouvement des gilets jaunes dès les premiers jours et a passé plusieurs mois sur le rond-point de Crolles, une ville de 8000 habitants située à 20 kilomètres de Grenoble. "Je viens d'une famille et d'un milieu populaire, et quand j'entendais des analyses sur les gilets jaunes, j'avais l'impression qu'on insultait mes amis d'enfance, ma famille", explique-t-il. "J'ai voulu comprendre un mouvement qui se transforme en permanence".

Ici, le mouvement des gilets jaunes a démarré sur le parking du supermarché Casino, avant de "glisser" vers l'espace vert tout proche. D'abord il y a eu quelques chaises, puis le brasero - il faisait froid! Ensuite sont venus les palettes pour éviter d'avoir les pieds dans la boue et un petit mur. Mais il n'y a jamais eu de toit en dur, condition imposée par la municipalité avec laquelle le groupe est en constante négociation, affirme le chercheur. Contactée par la RTS, pour s'exprimer à ce sujet, la mairie de Crolles n'avait pas retourné l'appel vendredi à la parution de cet article.

Ce rond-point a le rôle d'un café, d'une place publique, d'une petite agora, d'un atelier, d'un camp de base, d'une espèce d'école...

Luc Gwiazdzinski, géographe

Un an plus tard, le groupe d'une cinquantaine de personnes ne cache pas sa fierté d'avoir assuré un piquet continu sur le site. Certains soirs, il n'y a qu'une ou deux personnes. Mais à l'approche de la date anniversaire, l'espoir est grand de raviver la flamme. "Le mouvement s'est un peu endormi par endroits", confie Alexandre. Chauffeur de taxi de 40 ans, il précise: "Mais on va le réveiller."

"Un miracle permanent"

Au pied du massif de Belledonne, les "gilets", comme lui, tiennent à prendre leurs distances avec "ceux qui cassent". Sur le plan national, la grogne s'est en effet un peu essoufflée. Certains ont raccroché, dissuadés par les violences qui ont émaillé certaines manifestations (lire encadré). D'autres se sont lassés. Mais à Crolles, rien de tout ça et cela ne surprend pas vraiment Luc Gwiazdzinski. "Sur le rond-point, c'est un miracle permanent qui se reproduit chaque jour."

Installés là du fait de leur lutte originelle aux péages d'autoroute, les gilets jaunes ont trouvé une façon d'habiter le périurbain, ces zones d'activités industrielles et commerciales, ces espaces bizarres et pas très jolis à la lisière des villes françaises. "A la fin, ce truc inhospitalier qu'est un rond-point est devenu le symbole du rassemblement en périphérie. Il connecte la ville et les gens", s'amuse le géographe.

La solidarité du rond-point

A Crolles, comme ailleurs, le refus d'une taxe sur les carburants a été rattrapé par d'autres revendications: retraites, pouvoir d'achat, abandon présumé de l'Etat, changement climatique... La liste est longue et les réponses du président Emmanuel Macron, des mesures sociales par milliards (lire encadré), trouvent peu d'écho auprès de ces citoyens mécontents.

Au-delà du militantisme et de l'habit fluorescent, le mouvement a permis à des êtres humains d'inventer une façon d'exister, de créer ici un lieu de solidarité et de partage des savoirs ouvert à tous, un lieu qui - à l'évidence - leur manquait il y a un an. Cela ne plaît toutefois pas à tout le monde. Dans la nuit de vendredi à samedi, le camp de base des gilets jaunes de Crolles a été saccagé. De quoi alimenter une certaine amertume.

>> Le débat de Forum entre François Boulo, porte-parole des gilets jaunes de Rouen, Marie-Ange Rousselot, responsable communication de l'Equipe territoriale de Suisse En Marche!, Vincent Scattolin, maire de Divonne-les-Bains, et Olivier Fillieule, professeur de sociologue politique à l'Université de Lausanne. :

Le grand débat - Gilets jaunes: éternels insatisfaits?
Le grand débat - Gilets jaunes: éternels insatisfaits? / Forum / 20 min. / le 15 novembre 2019

Un reportage multimédia de Juliette Galeazzi

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17 milliards de mesures pour le pouvoir d'achat

Après l'annulation pour 2019 de la hausse de fiscalité sur les carburants, décidée le 5 décembre, le président français Emmanuel Macron annonce 100 euros de plus par mois pour les salariés au Smic, des heures supplémentaires "sans impôts ni charges" et une nouvelle exemption de hausse de CSG pour certains retraités. Le tout est évalué à 10 milliards d'euros.

Dans l'espoir d'apaiser les esprits, le chef de l'Etat lance un grand débat national, y participant activement. Le 25 avril, il annonce vouloir réduire "significativement" l'impôt sur le revenu - une baisse de 5 milliards d'euros sera votée à l'automne dans le budget 2020 -, réindexer progressivement les retraites sur l'inflation, supprimer l'ENA. Selon le gouvernement, le coût total des mesures annoncées atteint désormais 17 milliards d'euros. (afp)

Les violences en quelques chiffres

En un an, 24 manifestants auraient été éborgnés par un tir de lanceur de balles de défense (LBD), devenu le symbole des "violences policières" que dénoncent les gilets jaunes. Mais les forces de l'ordre ont elles aussi été ciblées par des attaques lors des manifestations.

Selon les autorités, environ 2500 manifestants et 1800 membres des forces de l'ordre ont été blessés, et 11 personnes ont trouvé la mort en marge des défilés.

Deux policiers français vont être jugés pour des violences présumées lors de manifestations de gilets jaunes, et 18 affaires ont été confiées à des juges d'instruction, selon le procureur de Paris Rémi Heitz. Au total, 212 enquêtes ont été confiées à l'Inspection générale de la police nationale - "la police des polices" - par le parquet de Paris. (afp)