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Les dossiers qui ébranlent le pouvoir du président chinois Xi Jinping

Le président Xi Jinping annonce le ''Outline Development Plan for the Guangdong-Hong Kong-Macao, Greater Bay Area'' à Hong Kong en février 2019. [AP/Keystone - Kin Cheung]
L’aura de leader tout puissant de Xi Jinping mise à mal par plusieurs défis / Tout un monde / 7 min. / le 19 novembre 2019
Jamais depuis Mao, un dirigeant chinois n’avait concentré autant de pouvoir entre ses mains. Mais les défis auxquels Xi Jinping doit faire face pourraient mettre à mal son aura de leader tout puissant et incontesté.

Chef du parti, chef des armées, chef de l'Etat... Depuis son arrivée à la tête de la Chine en 2012, Xi Jinping n'a fait que renforcer son contrôle sur toutes les instances dirigeantes du pays. Mais il est désormais confronté à plusieurs dossiers qui le font vaciller.

Plus on étrangle Hong Kong, plus on risque de faire face à une rébellion.

François Godment

Le premier d'entre eux est la crise de Hong Kong où la situation, après bientôt six mois de manifestations et près de 4500 arrestations, est inextricable. Jeudi dernier, Xi Jinping a fait monter la pression d'un cran en affirmant que la tâche la plus urgente était de rétablir l'ordre.

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"Plus on étrangle Hong Kong, plus on risque de faire face à une rébellion de la population" souligne François Godement, conseiller pour l'Asie à l'Institut Montaigne, mardi dans l'émission Tout un monde. "Et c'est tout de même 7 millions de personnes, c'est très voyant. C'est une perte de face considérable."

Pékin se retrouve du coup face à un dilemme: "Ne pas intervenir, c'est le risque de voir cette rébellion se développer et se confirmer sur le plan international. Intervenir, c'est bien sûr tuer la poule aux œufs d'or et c'est peut-être aussi entrer dans un cycle infernal d'une sorte de guérilla urbaine dont la Chine sortira gagnante sur le plan de la force mais dans laquelle elle subira des pertes considérables sur le plan de la réputation", poursuit ce spécialiste.

Du coup, c'est le fameux modèle "un pays, deux systèmes" qui risque de perdre toute crédibilité. " C'est la formule qui est régulièrement proposée à Taïwan dans un schéma de réunification", rappelle François Godement. "Si elle est complètement discréditée à Hong Kong - soit parce qu'elle est refusée par la population, soit parce que le régime décide d'appliquer une formule plus autoritaire encore - c'est une perte évidemment sur le dossier de Taïwan. Donc c'est important."

Beaucoup de Chinois pensent que Xi Jinping fait preuve de trop d'autorité.

Marie-Françoise Renard

Une campagne de répression critiquée au Xinjiang

Un autre dossier sensible est celui de la province du Xinjiang, avec des documents qui ont fuité et qui montrent l'ampleur de la campagne de répression menée contre les Ouïgours. On parle d'un million de personnes détenues arbitrairement et cette campagne n'aurait pas forcément fait l'unanimité, comme en témoignent ces fuites.

>> Lire : Une fuite incrimine le régime chinois dans la répression des Ouïghours

"Je pourrais dire en simplifiant que les Chinois ont sans doute toujours confiance dans le Parti communiste pour savoir ce qui est bon pour la Chine, mais que beaucoup d'entre eux - au plus haut niveau en tout cas - pensent que Xi Jinping fait preuve de trop d'autorité", explique Marie-Françoise Renard, professeure d'économie à l'Université Clermont-Auvergne.

"Certains lui reprochent la gestion du conflit avec Trump et aussi sa position dans le Xinjiang vis-à-vis des Ouïghours. Il est intéressant de voir que cette fuite reflète ce qui était déjà un peu des bruits de couloirs selon lesquels, au plus haut niveau dans le Parti communiste, il n'y a pas unanimité autour de l'action de Xi Jinping."

La responsabilité totale de Xi Jinping

Pour François Godement, il est difficile de savoir à quel niveau du parti proviennent les fuites mais ces documents révèlent la chaîne de responsabilités: "Cela établit très clairement, de façon non-équivoque, qui a décidé et comment", dit-il. "Et c'est Xi Jinping, pour une campagne de désislamisation massive du Xinjiang qui s'est transformée par la suite en déculturation. Certaines directives mentionnent directement l'aspect concentrationnaire des centres. Il est très clair qu'il s'agit de répression quand Xi Jinping déclare qu'il ne faut montrer aucune pitié."

Pour le conseiller à l'Institut Montaigne, il y a une chaîne de responsabilités indiscutable, mais aussi "la démonstration qu'un certain nombre de cadres locaux du PCC ont probablement traîné les pieds et ont été punis pour cela. On a vraiment, cette fois-ci, une chaîne de décisions et de responsabilités dans ce qui est très proche de constituer un crime contre l'humanité."

La grande difficulté pour Xi Jinping, c'est que Trump a exigé de la Chine non pas un dialogue mais des résultats concrets.

Valérie Niquet

Une guerre commerciale qui pèse sur la croissance chinoise

Autre défi majeur pour Xi Jinping: la guerre commerciale avec les Etats-Unis et les mesures de rétorsions américaines qui ont un impact sur la croissance chinoise. Or, pour Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche scientifique, la réponse de Pékin n'a pas été convaincante.

>> Lire : Peu d'espoir avant le treizième round de négociations entre Chine et Etats-Unis

"C'est considéré par beaucoup comme un échec", relève-t-elle. "La grande difficulté pour Xi Jinping et le système politique chinois, c'est que Trump a énormément de défauts mais qu'il a mis tout d'un coup sur la table quelque chose qui n'avait jamais été fait: exiger de la Chine non pas un dialogue mais des résultats concrets - y compris au niveau de l'organisation interne du système de production - pour que tout ce qui est aides indirectes aux entreprises chinoises, manipulation de la monnaie, transferts de technologie forcés, ne puisse plus se produire."

On touche là aux fondements du système politique et à ce qui fait sa force. "C'est ça qui est si difficile à accepter pour le régime chinois."

Dans ce type de régime aussi concentré, on peut tomber aussi rapidement qu'on a été élevé.

Valérie Niquet

Dans ces circonstances, on peut se demander si le président chinois est bien le leader aussi puissant et incontesté que l'on dit.

Une lutte contre la corruption qui crée des ennemis à Xi

"Ce qui est vrai, c'est qu'il a établi son contrôle sur les nominations au sein de l'armée, du parti, grâce à ses campagnes de lutte contre la corruption", analyse Valérie Niquet. "Mais il s'est créé aussi énormément d'ennemis. Il a détruit des clans entiers qui visaient des prébendes, donc il s'est créé des ennemis qui sans doute pour le moment ne réagissent pas particulièrement (...) Mais dans ce type de régime aussi concentré, on peut tomber aussi rapidement qu'on a été élevé."

Son contrôle est total et le culte de la personnalité atteint parfois des dimensions nouvelles.

François Godment

François Godement, lui, a une réponse en deux temps: "Sur le plan formel, sur le plan du contrôle de l'édifice du pouvoir, le pouvoir de Xi Jinping n'a jamais été aussi grand", constate-t-il. "Son contrôle est total et le culte de la personnalité atteint parfois des dimensions nouvelles."

>> Discours patriotiques chinois, interview du sinologue Nicolas Zufferey :

Nicolas Zufferey: "Depuis le début du règne de Xi Jinping, il y a une augmentation importante des discours patriotiques nationalistes."
Nicolas Zufferey: "Depuis le début du règne de Xi Jinping, il y a une augmentation importante des discours patriotiques nationalistes." / 19h30 / 1 min. / le 1 octobre 2019

"Par contre, il est difficile de rencontrer, notamment à l'étranger, des interlocuteurs chinois sans qu'un tout petit peu de scepticisme ou de doute ne perce quelque part. Il y a une telle arrogance dans la propagande, dans la communication publique de la Chine aujourd'hui (...), je pense qu'il y a une dose de scepticisme qui apparaît. Mais transformer cela en menaces ou en factionnalisme contre Xi Jinping serait faire une grosse erreur actuellement."

En dépit de quelques doutes, les leviers de contrôle restent donc solidement entre les mains de celui que l'on surnomme "l'empereur rouge."

Patrick Chaboudez/oang

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