En un mois, l'image du Chili, ce pays d'Amérique latine jusqu'ici considéré comme un havre de stabilité politique et loué pour sa solidité économique, a volé en éclats. La faute à trente ans de promesses non tenues, estime le réalisateur Juan Cáceres, de passage au festival Filmar à Genève*.
Parti d'un appel à frauder dans le métro lancé le 18 octobre par des lycéens à Santiago après une hausse du prix du ticket de métro aux heures de pointe, le mouvement de contestation s'est transformé en la pire crise sociale qu'a connue le pays depuis la fin de la dictature d'Augusto Pinochet. "Le Chili s'est réveillé et plus rien ne sera jamais comme avant", observe le jeune cinéaste.
Classe moyenne fâchée
Après avoir mis de l'huile sur le feu en déclarant le pays "en guerre contre un ennemi puissant", le président Sebastián Piñera a fini par reconnaître ne pas avoir anticipé une telle explosion sociale due à l'augmentation du prix des transports publics. Pour calmer le jeu, il a ensuite proposé d'augmenter de 20% le minimum des retraites.
"Aujourd'hui, tout explose à cause de quelque chose de si petit qu'un ticket de métro. Trente pesos de hausse, ce n'est pas beaucoup, mais derrière ces trente pesos, il y a trente années de beaucoup de précarité", commente pour sa part Juan Cáceres, lui-même issu d'un milieu modeste. "Au Chili, si tu as une télévision et un frigo, tu es déjà considéré comme la classe moyenne, mais c'est un mensonge. Il y a une concentration des pouvoirs énormes", souligne-t-il.
"Les gouvernements se sont succédé, mais ils n'ont rien changé. On a continué à vivre sous la Constitution héritée de la dictature", dénonce le réalisateur. Or le texte fondamental est accusé de maintenir de fortes inégalités dans la société et de limiter l'intervention de l'Etat à la portion congrue, faisant du Chili le laboratoire de l'ultra-libéralisme à l'américaine.
Référendum en vue
Pour répondre à ces critiques, les partis ont conclu vendredi un accord sur l'organisation d'un référendum en avril 2020 pour remplacer la Constitution. En trente ans, rappelle l'AFP, aucune tentative de remplacement du texte fondamental, rédigé en plein régime militaire de façon à ce que les secteurs conservateurs de la société puissent se maintenir au pouvoir, y compris après la fin de la dictature, n'avait abouti.
Après un réveil brutal, l'heure du renouveau aurait-elle sonné au Chili? A ce jour la question reste ouverte, et le pays divisé entre ceux qui veulent revenir à la normalité et ceux qui souhaitent maintenir la pression sur le gouvernement pour enfin venir à bout des inégalités.
>> Lire aussi : Le président chilien ne démissionnera pas malgré la colère de la rue
Article et vidéo web: Juliette Galeazzi
Propos recueillis par Marc Julmy
* Le film "Perro Bomba" de Juan Cáceres est projeté à Genève le 16, le 17 et le 21 novembre au festival Filmar en América latina
>> Le sujet du 12h45:
Plus de 15'000 interpellations en un mois
La contestation a fait 22 morts au Chili depuis le 18 octobre. La majorité des décès ont eu lieu dans des incendies lors de pillages et cinq à la suite d'interventions des forces de sécurité. Plus de 2000 blessés ont aussi été recensés.
Quelque 200 manifestants ont aussi été blessés aux yeux par des tirs de chevrotine en caoutchouc, parfois jusqu'à en perdre la vue, ont déploré des organisations des droits de l'Homme.
Le président Piñera a reconnu dimanche des violations des droits de l'Homme de la part des forces de l'ordre, qui ont poussé l'ONU à envoyer une mission d'enquête dans le pays. Il n'y aura pas "d'impunité", a-t-il assuré. (AFP)