Modifié

Ex-gendarme mondial, "les Etats-Unis sont aujourd'hui en échec partout"

Bertrand Badie, professeur émérite à Science Po Paris. [RTS]
L'invité de La Matinale - Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales / L'invité-e de La Matinale / 11 min. / le 22 novembre 2019
L'ordre mondial né après la chute du mur de Berlin, avec ses grandes puissances hégémoniques, n'existe plus et nos politiques vivent dans le déni. Telle est l'analyse de Bertrand Badie, professeur des universités à Sciences Po Paris, au micro de La Matinale vendredi.

Spécialiste reconnu des relations internationales, Bertrand Badie vient de publier chez Odile Jacob "L’hégémonie contestée", où il illustre sa thèse d'un nouvel ordre mondial, "l'acte 2 de la mondialisation".

"La chute du mur de Berlin en 1989 a été suivi par l'acte 1 de la mondialisation, à savoir la disparition d'un monde bipolaire et de confrontation des puissances", explique Bertrand Badie. S'en sont suivis une dérégulation du marché et un retrait de l'Etat, avec destruction du social.

La super-puissance américaine n'avait alors plus de rivaux. Or, souligne Bertrand Badie, les Etats-Unis ont aujourd'hui réduit leurs dépenses militaires, n'ont plus gagné de guerre sauf celles menées dans le cadre de coalitions multilatérales, et se trouvent mis en échec partout. "Avec l'élection de Donald Trump, la puissance qui a porté la mondialisation en devient le principal contestataire. L'hégémonie ne fonctionne plus, c'est la contestation qui l'emporte sur l'exercice de l'hégémonie."

>> Lire aussi : Washington promet d'aider les manifestants iraniens "réprimés"

Le social plus fort que le politique

Tout ceci fait qu'aujourd'hui, le social est plus dur et plus fort que le politique. "Partout, on voit des politiques désemparés, des exercices de puissance qui ne fonctionnent plus", note le chercheur.

Mais les mouvement sociaux ne peuvent déboucher sur des solutions concrètes que s'ils ont des transformateurs, c'est-à-dire des organisations ou du personnel politique, capables d'articuler en revendications précises les attentes des populations. "Le transformateur est aujourd'hui brisé: ces mouvements sociaux sont livrés à eux-mêmes, ils deviennent plus expressifs que revendicatifs. A Beyrouth, Paris, Santiago ou Alger, il n'y a plus de demande concrète, simplement la volonté d'exprimer une exaspération totale, qui se traduit par le dégagisme et par l'attrait pour le populisme."

Mais les demandes de la rue sont souvent trop énormes. "A Alger ou Beyrouth, les manifestants veulent 'changer le système'. Qu'est-ce que cela veut dire, concrètement? Par quoi faut-il commencer?", interroge le politologue.

Cécité des élites

Inquiétante, cette situation traduit la cécité du politique. "Nos élites - politiques, intellectuels et médias - vivent dans un monde imaginaire, le monde d'hier qui n'existe plus", relève Bertrand Badie. "Nous sommes aujourd'hui dans un monde de l'intersociabilité, de la communication rapide, globalisé, où les imaginaires sociaux sont mondialisés. Ce monde a besoin d'une grammaire nouvelle, et nous sommes au contraire en plein conservatisme."

Si la conception classique de l'hégémonie a vécu, elle sera remplacée par de nouvelles formes de pouvoir. "On va vers des formes nouvelles de domination, plus subtiles mais probablement encore plus efficaces - de la part de pays comme la Chine. Et aussi vers la prolifération d'acteurs non-étatiques - multinationales, acteurs religieux, etc., qui exercent une domination extrêmement forte là où ils agissent, et non plus sur la totalité du Globe", conclut-il.

Propos recueillis par Xavier Alonso

Adaptation web: Katharina Kubicek

Publié Modifié