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Junior Nzita Nsuami, ex-enfant soldat: "Par moments, nous étions des héros"

Junior Nzita Nsuami reçoit son prix. [Keystone - Martial Trezzini]
Témoignage de l’ex-enfant soldat Junior Nzita Nsuami, "Petit Nobel de la Paix" / Tout un monde / 7 min. / le 22 novembre 2019
Junior Nzita Nsuami, ex-enfant soldat en RDC, livre à l'émission Tout un monde un témoignage de ses années passées armes à la main. Récit d'une enfance volée, mise aujourd'hui au service de la lutte contre ce fléau.

Ces enfants ne sont pas comme les autres: à 10, 12 ou 13 ans, ils ne partagent ni les jeux ni l'innocence des jeunes de leur âge. Leur quotidien, c'est la guerre. Les enfants soldats sont aujourd'hui encore une réalité, chiffrés à des dizaines de milliers à travers le monde. En 2018, quelque 70'000 d'entre eux ont été recrutés de force par des milices dans 16 pays, selon l'Organisation des nations unies (ONU).

Pour rappel, enrôler un enfant de moins de 15 ans dans des forces armées est un crime de guerre. L'ONU, des ONG et des individus s’engagent activement contre ce fléau.

L'un de ces activistes s’appelle Junior Nzita Nsuami, présent à Genève pour recevoir le prix Mère Theresa pour la justice sociale. Cet ancien enfant soldat de la République démocratique du Congo (RDC) a été enrôlé de force par les milices qui luttaient contre le président Mobutu, à la tête du pays de 1965 à 1997. Sa vie bascule un jour de novembre 1996. Il était âgé de 12 ans.

Par moments, de la fierté

"J'étais à l'école, quand des hommes de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) ont fait feu sur le professeur et embarqué tous les enfants", raconte-t-il. "On nous a embarqués dans un container, et acheminés dans un centre de formation militaire. C'était le début de l'enfer."

Les enfants sont alors envoyés sur le front, après avoir parcouru à pied, pendant six mois, les plus de 3000 kilomètres séparant la région du Kivu de la capitale Kinshasa. Le nom qui désigne ces enfants-soldats, "kadogo", signifie "petit" en swahili.

Malgré la dureté, leur rôle leur procure occasionnellement un sentiment d'importance, voire de fierté. "Nous avons été instrumentalisés, lavés du cerveau", explique Junior Nzita Nsuami. "Par moments, nous nous considérions comme des héros. La population nous acclamait, chantait pour nous. Malheureusement, cette population oubliait qu'elle chantait pour son propre malheur."

Ces enfants qui tuent d'autres enfants

Car ces enfants, qui avaient porté les armes sans rien connaître aux règles du droit international, ont commencé à commettre de nombreux crimes. "Quand nous jouions avec des enfants qui n'étaient pas des soldats comme nous, dans chaque discussion, les enfants soldats avaient recours à leur arme. C'était la meilleure façon de nous protéger. De nombreux enfants ont été tués comme ça", relate Junior Nzita Nsuami, en demandant le pardon, au nom de tous ses camarades de rang, pour les crimes commis à ce moment-là "par des enfants exclus du monde de l'enfance".

Pour Junior Nzita Nsuami, cette jeunesse volée s'étire sur dix ans, vécus comme un véritable esclavagisme, avant de parvenir à s'en extirper. Pionnier de la lutte pour la démobilisation, le jeune homme s'attache alors à prouver que les enfants-soldats peuvent encore être utiles dans la société, retourner à la vie civile et être réhabilités comme des enfants normaux.

Ambassadeur de l'ONU

Il lance l'ONG "Paix pour l’enfance" et devient ambassadeur de l’ONU en 2013 sur la question des enfants soldats. Son engagement est reconnu, soutenu par des ONG, des privés et des entreprises, en Suisse notamment. Mais dans son pays, c’est différent.

"Pour sortir du cercle vicieux du recrutement des enfants soldats, il faut qu'il y ait une volonté politique. Lorsque que ce n'est pas le cas, toute personne qui vient dénoncer cette réalité devient la cible des politiques", souligne-t-il.

"Allumer la bougie au lieu de maudire la nuit"

Menacé en RDC, Junior Nzita Nsuami a été protégé par la Suisse en 2016 et vit désormais au Canada. Il poursuit son combat: le plus important, dit-il, c’est d’apporter l’espoir aux enfants vulnérables.

"Je suis très conscient que nous avons participé à détruire des écoles, des ponts et des réservoirs d'eau. Mais j'ai une responsabilité et une obligation de reconstruire cette société qui a été détruite par nos actes. Je montre par mes actions que nous pouvons toujours allumer la bougie au lieu de maudire la nuit."

Il est malheureusement plutôt rare pour les enfants-soldats de pouvoir échapper à leur sort. Beaucoup meurent dans les combats, sont traumatisés, tombent dans la criminalité, ou ne parviennent pas à se réinsérer dans la société.

Patrick Chaboudez/kkub

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