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"Le gaz lacrymogène n'est pas une alternative à la politique" à Hong Kong

Lord Chris Patten (ici, en septembre 2017). [EPA/Keystone - Jérôme Favre]
Le dernier gouverneur britannique de Hong Kong inquiet sur le sort de Hong Kong / Tout un monde / 8 min. / le 25 novembre 2019
Dernier gouverneur britannique de Hong Kong, Lord Chris Patten observe avec une certaine inquiétude les événements actuels. Il déplore, dans une interview à la RTS, les occasions manquées de Pékin pour résoudre la crise.

"L’histoire de cette grande ville tient à son passé autant qu’aux années de succès qui vont sûrement venir", avait dit le gouverneur à l'heure de la rétrocession de Hong Kong à la Chine le 30 juin 1997. Aujourd'hui, il ne cache pas sa préoccupation face aux événements.

Dans une interview accordée à l'émission Tout un monde, à l'occasion de sa venue à Genève vendredi dernier à l'invitation du Graduate Institute, Chris Patten reconnaît qu'il n'aurait jamais imaginé une telle évolution il y a 22 ans.

"J'ai toujours pensé que la pire chose qui puisse arriver à Hong Kong serait qu'elle devienne simplement la ville la plus riche de Chine plutôt qu'un exemple très spécial de la façon dont une société chinoise pourrait continuer à vivre avec l'Etat de droit, avec un gouvernement responsable et avec toutes les libertés inhérentes à une société ouverte", dit-il.

Xi Jinping a tenté de resserrer l'emprise de la Chine sur Hong Kong comme il l'a fait ailleurs en Chine.

Lord Chris Patton

Et si les choses ont plutôt bien fonctionné durant les années qui ont suivi la rétrocession, tout a changé avec l'arrivée au pouvoir de l'actuel président chinois. "Cela a mal tourné, en fait, avec Xi Jinping", souligne l'ancien gouverneur. Il a tenté de resserrer l'emprise de la Chine sur Hong Kong "comme il l'a fait ailleurs en Chine, avec l'incarcération révoltante des ouïghours dans le Xinjiang, avec son attitude plus brutale envers les dissidents et les avocats des droits de l'homme, à l’égard des églises et sa rhétorique plus dure sur Taïwan."

Les conséquences, rappelle Chris Patten, en ont été les manifestations des jeunes militants pour la démocratie en 2014 et l'explosion de colère de ces derniers mois. Celle-ci a été provoquée initialement, rappelle-t-il, par la tentative d'introduire un traité d'extradition qui aurait permis au gouvernement de supprimer le mur de sécurité entre l'Etat de droit à Hong Kong et ce qui passe pour la loi en Chine. Mais aussi, et plus généralement, "par ce sentiment que les communistes enlevaient à Hong Kong ses droits et ses libertés."

Le reste du monde devrait être impressionné par les habitants de Hong Kong.

Lord Chris Patton

Le Britannique souligne, dans ce cadre, la détermination des habitants de Hong Kong qui n'hésitent pas à prendre des risques considérables pour défier Pékin: "Le reste du monde, les personnes qui vivent dans des sociétés et des démocraties ouvertes, devraient être impressionnés par la manière dont les habitants de Hong Kong - des Chinois très majoritairement - ont défendu avec enthousiasme leur conception de la relation entre liberté économique et liberté politique. C'est extraordinaire."

Et la plupart de ceux qui ont été à l'avant-garde de ce mouvement sont nés après la rétrocession de Hong Kong à la Chine. "Ils ne sont pas le résultat de ma soi-disant 'pédagogie occidentale agressive', note le politicien conservateur. "Ce sont eux qui en sont venus à se demander quel genre d’avenir ils voulaient. En fin de compte, ce qu'ils croient a plus de vitalité à long terme que le message de Xi Jinping et de ces tyrans chinois."

Pouvons-nous faire confiance à la Chine au 21e siècle? Les présages ne sont pas très bons.

Lord Chris Patton

La Chine et la Grande-Bretagne ont signé une déclaration conjointe qui fixe clairement l’avenir de Hong Kong et qui a force de traité. Mais Lord Patten s'interroge sur son respect par Pékin: "La Chine donne parfois l’impression de respecter ce texte, mais elle l’a également dénoncé et le considère comme un document historique alors que c’est un traité déposé à l’ONU et valable jusqu’en 2047", constate celui qui a été plus tard commissaire européen. "Je pense que le reste du monde regardera ce qui se passera à Hong Kong pour savoir si la Chine tiendra parole sur le traité. Parce que si la Chine ne tient pas parole à ce sujet, alors comment peut-on faire confiance à la Chine? (...) Je pense que Hong Kong sera un cas d’école: pouvons-nous faire confiance à la Chine au 21e siècle? Les présages ne sont pas très bons."

Face aux accusations d'ingérence étrangère à Hong Kong de la part de Pékin, y compris celles qui le visent directement, Chris Patten répond que le gouvernement britannique peine déjà à organiser un embouteillage dans le Kent. "L'idée que nous pouvons faire descendre des millions de personnes dans les rues de Hong Kong est parfaitement ridicule", dit-il. "C'est également insultant pour les habitants de Hong Kong et démontre une profonde ignorance de ce qui les préoccupe."

Doutes sur une possible intervention militaire de Pékin

Aujourd'hui, et alors que la situation semble désormais inextricable, Chris Patten parle d’occasions manquées. Pékin aurait dû notamment donner davantage de marge de manœuvre à la cheffe de l’exécutif de Hong Kong Carrie Lam. "La Chine est-elle capable de comprendre que le fait de parler à des gens avec lesquels vous n'êtes pas d'accord est un signe de force et le meilleur moyen d'arriver à un accord pacifique?", s'interroge-t-il. "Ou bien la Chine pense-t-elle encore que la seule façon de faire face à la dissidence est de brutaliser les gens? (...) Le gaz lacrymogène n'est pas une alternative à la politique."

Chris Patten, du reste, peine à imaginer une intervention militaire de Pékin: "Je ne peux pas croire que même le Parti communiste chinois veuille voir une telle fin: des soldats chinois tirant sur des citoyens chinois… une fois de plus."

La mobilisation et le résultat du scrutin de dimanche semblent lui donner raison: les candidats pro-démocratie se dirigent vers une victoire écrasante à ces élections locales. Selon des résultats préliminaires publiés lundi, ils ont obtenu une large majorité des 452 sièges que comptent les 18 conseils de districts.

>> Lire : Victoire écrasante des pro-démocratie aux élections locales à Hong Kong

Propos recueillis par Patrick Chaboudez/oang

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