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Vendre ses missiles au Moyen-Orient, le nouveau levier d'influence russe

Un avion cargo militaire russe transporte des parties de missiles S-400 achetés par la Turquie. Ankara, le 12 juillet 2019. [Keystone - Turkish Defence Ministry press office]
Ce que ça change quand la Russie vend des armes au Moyen-Orient / Tout un monde / 4 min. / le 26 novembre 2019
Pour regagner son influence au Moyen-Orient, la Russie passe entre autres par la vente de matériel militaire. Moscou a réussi à séduire la Turquie, membre de l'OTAN, avec ses missiles S-400. Une stratégie qui inquiète les Etats-Unis et Israël.

Si la Russie était bien implantée au Moyen-Orient jusqu'au milieu des années 70, elle a peu à peu perdu sa place au profit des Etats-Unis. En 2015, Moscou fait son grand retour dans la région pour venir au secours du président syrien Bachar El-Assad.

Depuis, la nouvelle stratégie russe pour renforcer son statut géopolitique dans la région passe par la vente d'armes. "C'est le meilleur moyen de s'implanter, y compris sur du long terme", explique Patrice Bouveret, directeur de l'Observatoire des armements à Lyon.

"Parce que la vente de matériel militaire implique de la maintenance, et crée ainsi une forme de dépendance. C'est bien ça que cherche à faire la Russie, à un moment où les Etats-Unis se désengagent en partie de ce terrain-là."

Vente russe à un membre de l'OTAN

Un des grands succès russes est d'avoir convaincu la Turquie, membre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), de commander des missiles S-400, un système de défense anti-aérien. La livraison de ces armes, considérées comme l'un des fleurons de l'industrie militaire russe, a débuté en juillet, en vertu d'un contrat estimé à 2,5 milliards de dollars.

Cet achat a fortement déplu aux Etats-Unis. Lors de leur rencontre du 13 novembre, le président Donald Trump n'a pas réussi à dissuader son homologue turc Recep Tayyip Erdogan d'activer ces armes, malgré des menaces de sanctions et la proposition d'acquérir des missiles américains.

Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a jugé mardi "inquiétant" le fait que la Turquie ait commencé la veille à tester des systèmes russes de défense antiaérienne en dépit des appels répétés de Washington à ne pas les activer sous peine de sanctions.

"Nous restons confiants et parlons encore aux Turcs pour essayer de trouver une voie de sortie. Je ne veux pas m'avancer sur ce que le président peut faire ou pas. Mais nous avons clairement exprimé au gouvernement turc notre volonté de les voir s'éloigner de la mise en opération complète" du système de défense S-400, a-t-il ajouté.

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"Qu'un membre de l'OTAN se mette à acheter du matériel russe et pas américain, c'est quelque chose de nouveau", constate Patrice Bouveret. "Cela pose un véritable problème, y compris pour les opérations communes à la Turquie et aux Etats-Unis. Les matériels ne répondant pas aux mêmes normes, ils ne peuvent être opérationnels ensemble."

Etendre l'influence dans la région

La Turquie n'est pas le seul client de la Russie en matière d'armement dans la région. "Ces dernières années, il y a notamment eu l'Egypte et l'Algérie", rappelle Igor Delanoë, directeur adjoint de l'Observatoire franco-russe à Moscou.

Grand bénéficiaire des aides militaires américaines, l'Egypte a acquis quelque 50 chasseurs russes et presque autant d'hélicoptères de combat. L'Irak a de son côté récemment privilégié des chars russes au détriment de véhicules américains.

Lors d'un forum Russie-Afrique en octobre, le complexe militaire russe a exposé kalachnikovs dernier cri, systèmes de défense anti-aérienne et programmes de reconnaissance faciale pour charmer le continent africain. L'une des stratégies consiste à effacer les dettes de pays en échange de contrats d'armements, comme cela a été le cas avec l'Algérie et la Libye dans les années 2000.

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Face à un désengagement américain dans la région, la Russie semble ainsi déterminée à regagner son influence perdue il y a trois décennies, et à briser le monopole de Washington.

Aude Marcovitch / mh

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Israël inquiet pour sa maîtrise de l'espace aérien

La Turquie a commandé plus de 100 avions ultra-sophistiqués américains, les F35, et son industrie de défense a investi des sommes importantes dans ce programme. Mais les Etats-Unis ont décidé de l'en exclure après la livraison des premiers S-400.

Dans la région, Israël, seul à disposer des avions F35, espère que la Turquie ne puisse pas l'acquérir. "La crainte, c'est que si la Turquie possède ces avions sophistiqués, elle aura également la possibilité de perfectionner les missiles russes S-400 pour qu'ils puissent atteindre les F35", explique Eytan Gilboa, professeur de relations internationales au centre israélien Begin Sadate pour les études stratégiques.

"Pire encore, ces informations pourraient parvenir à d'autres pays au Moyen-Orient. La Turquie est aujourd'hui l'un des principaux pays ennemis d'Israël dans la région, après l'Iran. On peut donc craindre d'être visés par les armes qu'elle acquiert."

L'acquisition d'avions ultra-sophistiqués par la Turquie "pourrait gêner la maîtrise du ciel que possède Israël, particulièrement pour ses frappes en Syrie et en Irak", précise Eytan Gilboa.