La légende est devenue réalité. Depuis plusieurs années, les brigades anti-stupéfiants entendaient des rumeurs sur des sous-marins d'Amérique transportant de la drogue jusqu'en Afrique et même en Europe. Dimanche passé, ils en ont eu la confirmation.
Un semi-submersible de 22 mètres a été intercepté au large des côtes du nord-ouest de l'Espagne. Aidés par des plongeurs, les policiers ont mis trois jours à le renflouer puis à l'acheminer vers un port. Les enquêteurs y ont découvert pas moins de 152 paquets de drogue, soit 3 tonnes de cocaïne, d'une valeur estimée à 100 millions d'euros.
Pour stopper ce "narco sous-marin", 240 agents ont participé à une opération internationale, impliquant les polices d'Espagne, du Portugal, du Royaume-Uni, des Etats-Unis et du Brésil. Deux membres d'équipage de nationalité équatorienne ont été arrêtés alors qu'ils abandonnaient l'engin. Un troisième occupant s'est échappé.
Une interception inédite
L'appareil serait parti de Colombie ou de Guyane, et aurait mis trois semaines pour parcourir plus de 8000 km dans l'océan Atlantique afin de rallier les côtes européennes. Une prouesse jamais identifiée auparavant chez un narco sous-marin.
Au point d'arrivée, en Galicie, l'une des portes d'entrée de la drogue en Europe, les membres de l'équipage ont attendu que les transbordeurs viennent récupérer la marchandise, en vain. Ils se sont alors rapprochés des côtes pour abandonner l'engin, moment où ils ont été interceptés.
Selon des sources policières citées par le quotidien espagnol El Pais, d'autres narco sous-marins "jetables" pourraient être enfouis le long des côtes. En effet, sitôt la marchandise livrée, ces sous-marins à usage unique sont coulés. Même si leur construction coûte plusieurs millions, ils peuvent rapporter 100 fois plus en un voyage.
Ces dernières semaines, des dizaines de paquets de cocaïne ont échoué sur les plages atlantiques françaises. À se demander s'ils ne proviennent pas du naufrage d'un de ces narco sous-marins.
Des engins de plus en plus sophistiqués
Si cette découverte est une première en Europe, elle ne l'est pas sur le continent américain, où des sous-marins sont régulièrement utilisés pour transporter des stupéfiants vers le Mexique puis vers les Etats-Unis.
"Ces appareils sont fabriqués dans des ateliers clandestins au fin fond des forêts avant de remonter les fleuves jusqu'à l'océan", explique Frédéric Massé, spécialiste du crime organisé en Colombie.
"Très artisanaux au départ, ces engins sont apparus dès la fin des années 80. Une décennie plus tard, ils avaient évolué en semi-submersibles. Depuis, ils sont de plus en plus sophistiqués, et peuvent ainsi plonger plus profondément ou parcourir de plus longues distances."
Bientôt des narco drones?
Ce mode opératoire n'étonne pas le spécialiste: "Les narcotrafiquants ont toujours cherché à avoir une longueur d'avance sur les autorités. Ils ont d'abord utilisé de petits avions, puis des bateaux rapides. Maintenant des sous-marins. Ces derniers ont l'avantage d'occasionner un maximum de profits en prenant un minimum de risques."
Mais, maintenant que leur existence est connue, et qu'ils sont plus traqués, les cartels pourraient chercher de nouveaux moyens de transports, estime Frédéric Massé. "On peut penser à l'utilisation de drones, même si ceux-ci ne peuvent pas porter de grandes quantités, ni parcourir de grandes distances."
Au-delà de la drogue, les sous marins sont-ils susceptibles de transporter d'autres marchandises, comme de l'or? Une piste plausible pour le chercheur colombien: "Ce serait une stratégie rentable, puisque l'or prend moins de volume que la drogue pour un même gain. L'or a aussi l'avantage de ne pas être altéré par l'eau. Si le sous-marin coule, on peut aller récupérer la marchandise même un siècle plus tard."
Selon la légende, le célèbre baron de la drogue Pablo Escobar lui-même aurait possédé un sous-marin qui transportait de la cocaïne aux Etats-Unis. L'année passée, deux agents de la CIA ont assuré avoir découvert l'épave du submersible.
Mouna Hussain / Caroline Stevan avec AFP