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Entre Brexit et pauvreté, Bedford, un condensé d'Angleterre

Entre Brexit et austérité, fin de décennie morose au Royaume-Uni.
Entre Brexit et austérité, fin de décennie morose au Royaume-Uni / L'actu en vidéo / 3 min. / le 14 décembre 2019
Au lendemain des élections législatives du 12 décembre, le Royaume-Uni s'est réveillé avec un cap, le Brexit, mais restent beaucoup de questions. La RTS a passé quelques jours à Bedford, au chevet d'un pays qui sort d'une décennie morose.

A une heure au nord de Londres, Bedford offre un condensé d'Angleterre: des maisons en briques rouges, une rue principale, un club d'aviron et quelques pubs bien remplis les soirs de matchs. Ici, il ne se passe pas grand-chose et, ce qui frappe surtout, c'est le nombre de magasins de charité. Leur présence trahit l'existence d'une misère invisible, celle racontée par les films de Ken Loach, celle induite insidieusement par des années de crise économique, d'emplois précaires et de coupes budgétaires.

Vue sur Bedford, ville anglaise de 80'000 habitants. [RTS - Juliette Galeazzi]
Vue sur Bedford, ville anglaise de 80'000 habitants. [RTS - Juliette Galeazzi]

"Bedford a subi les restrictions financières au moins autant que n'importe quelle autre ville du Royaume-Uni", confirme le journaliste Ben Raza, rencontré dans un café de supermarché. Les collectivités locales reçoivent aujourd'hui beaucoup moins d'argent de l'Etat pour assurer leurs missions, explique-t-il. Elles peinent dès lors à remplir leur rôle, que ce soit pour la gestion des déchets, les transports ou encore le social.

Dix ans d'austérité

Depuis 2010, le Parti conservateur - qui dirige le pays - a imposé des politiques d'austérité draconiennes à l'ensemble du pays, d'abord pour éliminer les déficits budgétaires qui s'étaient creusés après la crise financière de 2008, ensuite pour réaliser le projet "Big Society" cher à l'ex-Premier ministre David Cameron, surtout connu à l'étranger pour avoir lancé le référendum sur le Brexit.

L'idée derrière ce programme politique? Décentraliser le pouvoir et encourager les individus à s'engager pour leur communauté via le bénévolat, la participation - ou le soutien financier - à des coopératives, des mutuelles ou des entreprises sociales. Mais tout ça n'a pas vraiment porté ses fruits, commente Simon Danes, qui représente la Banque alimentaire de Bedford.

L'association, à laquelle le quinquagénaire offre la moitié de son temps, reçoit des aides financières des trois principaux partis politiques et de différents mécènes privés. "Aujourd'hui, les banques alimentaires remplacent l'Etat-providence sur le plan national", confie-t-il.

Précarité des emplois

Dans l'entrepôt, situé dans une zone d'activité de Bedford, une de ces zones faites de ronds-points, de grandes enseignes et de quelques entreprises, la Banque alimentaire entrepose environ 7,5 tonnes de produits - des dons pour la plupart. De quoi alimenter 600 personnes, dont 200 enfants, pendant un mois.

"En cinq ans, notre activité a augmenté de 50%", détaille Simon Danes. Pourtant, à Bedford, le taux de chômage est de 3,6%, en dessous de la moyenne nationale. "La plupart des gens qui viennent à la banque alimentaire travaillent mais dans des emplois instables ou dans des contrats à 0 heure où ils ne savent pas, au début de la semaine, combien d'heures ils feront", précise cet ancien enseignant.

A cette précarité de l'emploi s'ajoute au Royaume-Uni un durcissement des conditions d'octroi des aides de l'Etat. Des périodes de carence strictes sont observées, laissant les gens démunis.

Personne ne meurt de faim au Royaume-Uni, mais parfois des gens arrivent qui n'ont pas mangé depuis plusieurs jours

Simon Danes, bénévole Foodbank Bedford

La Trussell Trust - réseau auquel est raccordé la Banque alimentaire de Bedford - mène une campagne nationale pour lutter contre la faim au Royaume-Uni. Entre avril 2018 et mars 2019, les 1200 banques alimentaires du pays ont distribué 1,6 million de rations alimentaires, soit une hausse de 19%. Si les besoins sont supérieurs dans le nord de l'Angleterre, la région de Londres et du centre n'est pas en reste.

Une oeuvre de Banksy

Au problème de nourriture s'ajoute souvent celui du logement et de la hausse du nombre de sans-abri, un phénomène récemment médiatisé par l'artiste Banksy qui en a fait l'objet d'une oeuvre dans une rue de Birmingham, la deuxième ville d'Angleterre.

"A Bedford, un réel effort a été fait pour aider les personnes sans domicile en leur proposant plus qu'un abri, un lieu où elles puissent progressivement retrouver une place dans la société", souligne Ben Raza. Du côté de la mairie, dirigée par un libéral-démocrate, personne n'a souhaité répondre à cette question.

Dans cette ville, miroir de l'Angleterre, qui avait voté pour le Brexit comme l'ensemble du pays, à 48% contre et 52% pour, les passants ne cachent pas leur empressement de voir éludée la sortie de l'Union européenne. Au centre-ville, sur la place où a lieu le marché chaque mercredi, une famille d'immigrés italiens tient un café où les passants aiment parler de la pluie et du beau temps, ou refaire le monde.

Le gérant, Liberato, ou Libby pour les intimes, le décrit sans peine. "Il y a des familles divisées à cause du Brexit. Maintenant, nous devons retrouver une unité, plus de solidarité."

>> Le reportage à Bedford de Laurent Burkhalter, à la veille des élections législatives :

Élections au Royaume-Uni: reportage à Bedford, une ville qui à l'instar du reste du pays a voté pour le Brexit à 52%.
Élections au Royaume-Uni: reportage à Bedford, une ville qui à l'instar du reste du pays a voté pour le Brexit à 52%. / 19h30 / 3 min. / le 12 décembre 2019

Penser à l'avenir

Liberato et Joseph Lionetti, à Bedford. [RTS - Juliette Galeazzi]
Liberato et Joseph Lionetti, à Bedford. [RTS - Juliette Galeazzi]

Au lendemain des élections législatives qui ont reconduit le conservateur Boris Johnson à la tête du gouvernement, son fils Joseph, 26 ans, se veut pragmatique: "Le pays a enfin une direction. On va enfin pouvoir avancer!".

>> Le suivi des élections britanniques : Grand vainqueur des élections, Boris Johnson promet un Brexit "à temps, le 31 janvier"

Dans leurs programmes, les leaders des principaux partis n'avaient pas oublié la question sociale, celle qui - selon un bataillon d'experts - a pu conduire au Brexit. Côté travailliste, Jeremy Corbyn avait mis la promesse d'un grand virage à gauche et la fin de l'austérité au coeur de sa campagne. Mais en plébiscitant leur exubérant Premier ministre, les Britanniques ont semblé privilégier la promesse d'un accord - espéré rapide - avec l'Union européenne et la perspective de futurs partenariats commerciaux qui relancent l'économie.

De fait, en matière sociale, Boris Johnson n'a pris que deux engagements pendant la campagne. Il a promis d'une part 130 milliards de francs d'investissements pour les infrastructures et, d'autre part, la création de nouveaux emplois dans la santé et la police.

Pas de quoi rassurer les acteurs sociaux de Bedford ou d'ailleurs, alors que ce printemps, le Royaume-Uni a été épinglé dans un rapport de l'ONU pour le risque social représenté par les politiques d'austérité. Avec 14 millions de personnes vivant dans la pauvreté, dont 4 millions d'enfants, la fin de décennie se révèle plutôt morose et le Cool Britannia des années 2000 paraît bien loin.

Article et vidéo: Juliette Galeazzi

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Bedford, une circonscription clé restée du côté travailliste

La circonscription à laquelle appartient Bedford faisait partie de la centaine de points clés identifiés par le Guardian comme pouvant faire basculer la majorité du gouvernement. Le député travailliste sortant, Mohammad Yanis, d'origine pakistanaise, qui ne l'avait emporté qu'à quelques centaines de voix lors d'un précédent scrutin, était donc une cible facile pour le Parti conservateur adverse.

Au terme d'une longue nuit électorale, la sentence a fini par tomber et confirmer la réélection du candidat sortant, avec 145 voix d'avance sur son adversaire.