Les températures et les mers montent. Les conflits s'enlisent, en Syrie, au Yémen ou au Sahel. Les révoltes populaires se multiplient, au Chili, au Liban, à Hong Kong. Septante-cinq ans après la signature de la Charte des Nations unies, en 1945 à San Francisco, l'ONU doit évoluer dans un monde qui se fissure. Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, livre dans une émission spéciale de Géopolitis son analyse sur les grands défis internationaux et lance une consultation mondiale, des salles de classe aux parlements, pour tenter de construire un avenir plus sûr et plus solidaire.
Et c'est sur le climat que le secrétaire général attend au plus vite une action coordonnée de tous les Etats: "Il n'est pas acceptable que, jusqu'à présent, les responsables politiques n'aient pas compris le besoin de faire de la neutralité carbone en 2050 une priorité absolue de leur politique." Car atteindre cet objectif est nécessaire, selon l'ONU, pour espérer limiter l'augmentation des températures à 1,5 oC. On en est loin. Aujourd'hui, le monde rejette encore plus de 36 milliards de tonnes de CO2 par an. Nous consommons toujours plus de pétrole et de charbon, et la COP25, en décembre à Madrid, n'a pas permis d'avancée significative.
Taxer le charbon
Pourtant, les Etats ont des leviers d'action, notamment via la fiscalité. Mais ces mesures sont souvent impopulaires. "Ma proposition est très simple", explique António Guterres. "Il faut taxer le carbone et avec l’argent que l’on obtient, on peut réduire les taxes sur les salaires. Et là on gagne dans les deux domaines." Les gouvernements pourraient aussi limiter leurs subventions aux combustibles fossiles. Elles représentent encore plus de 250 milliards de dollars. "Nous payons des impôts qui servent à donner des subsides aux énergies polluantes", s'indigne António Guterres. "Moi, je ne veux pas que mon argent soit utilisé pour favoriser les ouragans, blanchir les coraux ou faire disparaître les glaciers."
Sans une véritable coopération internationale, nous allons vers une situation absolument effroyable pour tout le monde.
Mais il n'y a pas que le réchauffement climatique qui met au défi les nations du monde. "Les problèmes sont tels que sans une véritable coopération internationale, sans une gouvernance mondiale, nous allons vers une situation absolument effroyable pour tous", s'inquiète le secrétaire général. Pourtant, la machine semble grippée et l'ONU doit composer avec l'unilatéralisme de ses États membres. Un exercice d'équilibriste, notamment avec les États-Unis, premier contributeur au budget de l'organisation (22%).
Sans jamais montrer du doigt un chef d'Etat en particulier, António Guterres reconnaît les difficultés rencontrées par l'ONU. "Il y a des choses qui sont paralysées", admet-il. "Par exemple, le Conseil de sécurité est presque paralysé, notamment sur les questions importantes." En Irak, en Syrie, en Libye, au Yémen ou en Birmanie, le droit international est constamment bafoué. "Il faut accepter le besoin de réformer les choses, y compris les Nations unies", souligne António Guterres. "Mais je crois qu’il y a un principe qui se maintient: c’est qu’avec des problèmes globaux, il n’y a pas de solution unilatérale."
Interdire les armes autonomes
La non-prolifération nucléaire ou la régulation des nouvelles armes de guerre sont d'autres sujets de préoccupation majeurs. Pour António Guterres, il est nécessaire de prendre des engagements forts dans ce domaine: "Je suis en faveur de la prohibition absolue des armes autonomes qui pourraient donner à des machines sans contrôle humain la possibilité de tuer ou de choisir ceux qu'elles vont tuer."
Au Chili, au Liban, en Haïti, en Algérie, les peuples se soulèvent contre les élites qui les gouvernent. "La globalisation et le progrès technique ont généré une énorme richesse au niveau mondial et créé des espoirs immenses", relève le secrétaire général. "Mais il y a eu une augmentation énorme des inégalités." Selon l'ONG OXFAM, en 2017, le 1% des plus riches a capté 82% de l'augmentation des richesses. Dans ce contexte de défiance, "il faut donner aux gens la perspective qu'ils participent à la solution de leurs problèmes", insiste António Guterres.
Elsa Anghinolfi
Consulter pour préparer l'avenir de l'ONU
Quel sera le rôle de l'ONU en 2045, quand l'organisation fêtera ses 100 ans? Pour trouver des pistes de réponse, les Nations unies veulent sonder les citoyens de leurs 193 États membres lors d'une grande consultation mondiale et participative.
"Plus que de dire aux gens ce que nous pensons sur les Nations unies ou le multilatéralisme, nous allons leur demander ce qu'ils pensent: quelles sont vos anxiétés? quels sont vos problèmes? quels sont vos espoirs et vos aspirations? Et comment est-ce que vous pensez que la coopération internationale pourrait s'organiser pour répondre à ces besoins?", explique António Guterres, secrétaire général des Nations unies.
Des débats, des sondages, des rencontres seront organisés à travers le monde tout au long de l'année 2020. L'ONU cherche à atteindre un très grand nombre de personnes dans tous les secteurs et dans toutes les régions. Cette campagne qui se déroulera aussi sur les réseaux sociaux ambitionne plus particulièrement de toucher les jeunes.
Les avis et les idées qui en ressortiront seront synthétisés dans un rapport qui sera présenté en septembre prochain. Pour mener à bien ce dialogue, le secrétaire général a nommé comme conseiller spécial le Chilien Fabrizio Hochschild-Drummond.