Football Leaks: "La prison n’est pas le bon endroit pour moi"

Rui Pinto, le lanceur d’alerte des Footballs Leaks, s’exprime pour la première fois depuis sa prison de Lisbonne où il est incarcéré depuis neuf mois, dont sept à l’isolement. Son procès doit débuter début 2020.

A 31 ans seulement, Rui Pinto fait face à 147 chefs d’accusations pour accès illégitime, violation de la correspondance, sabotage informatique et tentative d'extorsion. Des faits que le lanceur d’alerte portugais a toujours démentis.

Football Leaks, une enquête du consortium European Investigative Collaborations. [RTS]

Après des mois de négociations, Der Spiegel, dont la RTS est partenaire dans le cadre du consortium European Investigative Collaborations (EIC), a pu l’interroger sur ses conditions de détentions. Eprouvé, il raconte ses sept premiers mois passés à l’isolement: "Au début, c’était très difficile. […] Je tournais en rond et je jouais au football seul dans ma cellule, je faisais de l’exercice, je lisais beaucoup et je prenais des notes dans mon calepin."

Début octobre, Rui Pinto a pu sortir de l’isolement mais ses déplacements restent restreints: "Je passe maintenant du temps dans une zone où les détenus sont autorisés à travailler. […] Je peux sortir de ma cellule et passer du temps avec eux mais je n’ai pas le droit de travailler. Je ne peux pas non plus aller dans la grande cour extérieure. C’est un ordre direct du directeur de la prison", relate-t-il.

"Je ne me considère pas comme un hacker"

Pour tuer le temps, il discute avec ses gardiens. "Ils disent que la prison n’est pas un endroit pour moi et que le pays a besoin de plus de gens comme moi, volontaires pour se battre contre la corruption et les conflits d’intérêts." Depuis son incarcération, le 22 mars 2019, le lanceur d’alerte se bat pour attendre son procès à la maison. Mais le procureur craint un risque d'interférence avec l’enquête et redoute que Rui Pinto puisse engager des activités illégales avec des gouvernements étrangers. "Ce n’est pas raisonnable et c’est injuste", proteste Rui Pinto.

Considéré par les autorités portugaises comme un pirate informatique, il se défend. "Pour moi, pirater veut dire pénétrer de force dans un système et l’exploiter. Je n’ai jamais fait ce genre de choses." Mercredi dernier, lors d’une audience préliminaire, les avocats du lanceur d’alerte ont plaidé pour une réduction du nombre d’accusations à son encontre, mais Rui Pinto reste sceptique. "Je crains que mon procès ne soit pas équitable. Je pense que mon cas va finir devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, parce que le Portugal n’en a rien à faire de la protection des lanceurs d’alerte", lance-t-il. La décision du juge ne sera connue que le 13 janvier 2020.

"Tout est crypté et je suis le seul à connaître les mots de passe"

Pour rappel, les Football Leaks ont permis la publication de près de 1000 articles et ont conduit, entre autres, à la mise en examen de Cristiano Ronaldo pour fraude fiscale. Suite à ses révélations, l’agence européenne Eurojust a annoncé l’ouverture d’une enquête dans neuf pays. Une avancée en demi-teinte pour le lanceur d’alerte: "Je m’attendais à plus d’aide. Je sais qu’Eurojust est une structure très bureaucratique, mais j’ai le sentiment de ne pas être assez respecté. Ils veulent que je coopère complètement avec eux mais ne me donnent rien en retour", a-t-il déclaré, amer.

Depuis sa prison, Rui Pinto se dit toujours prêt à coopérer avec la justice française qui a déjà récupéré 27 térabytes de données issues des Football Leaks. "Tout est crypté et je suis le seul à connaître les mots de passe, enregistrés dans ma tête", affirme-t-il. Mais il estime qu’aucune collaboration n’est possible tant qu’il sera en prison. A quelques jours des fêtes de Noël, il reste combatif et déterminé. "Ça va être dur", soupire-t-il. "Pas seulement pour moi, mais pour tout le monde ici. […] Noël devrait se fêter avec les êtres que l’on aime. Il faut parfois faire des sacrifices."