En France, des millions de personnes avaient manifesté au lendemain de l'attentat au nom de la liberté d’expression, mais l’émotion était même d'ampleur mondiale.
Aujourd'hui, le journal satirique continue de mener ses combats et les polémiques n’ont jamais cessé. A intervalles réguliers, le magazine, devenu un symbole scruté de près, continue de se faire des ennemis.
"Tyrannies des associations et minorités"
Pour le numéro spécial qui paraît mardi, le rédacteur en chef dénonce les nouveaux censeurs. "Hier, on disait merde à Dieu, à l'armée, à l'Eglise, à l'Etat. Aujourd'hui, il faut apprendre à dire merde aux associations tyranniques, aux minorités nombrilistes", fustige Riss dans son édito.
Pour Caroline Fourest, essayiste et ancienne journaliste à Charlie Hebdo, la liberté d’expression est une lutte permanente. "Il y a toujours ce malentendu mondial à propos de la satire, il est même grandissant. C'est le nouveau tribunal inquisiteur moderne. C'est cela qui pèse aujourd'hui sur la liberté d'expression", dénonce-t-elle.
Cette nouvelle censure vient d'une vision "complètement confuse" de la défense des minorités, qui en vient aujourd'hui à interdire des pièces de théâtre, attaquer des conférenciers, "au prétexte qu'on n'a le droit de parler que si l'on est issu de la même minorité", analyse l'essayiste.
Charlie Hebdo "désigné comme cible"
Les survivants l'ont souvent écrit, l’isolement du journal avant l’attentat reste difficile à avaler. En particulier les critiques virulentes venues de milieux progressistes.
"Nous avons subi un procès d'intention extrêmement violent, relayé également par des journalistes. Ca a fait beaucoup de mal, ça a préparé le terrain à l'attaque, parce que ça a permis de fragiliser Charlie Hebdo et d'en faire une cible", explique Caroline Fourest.
Après la mort de ses piliers, la rédaction a dû se reconstruire tant bien que mal. Chaque anniversaire ravive évidemment le traumatisme. Et l’année s’annonce éprouvante pour l'équipe puisque le procès des complices du massacre se tiendra en mai. Charlie Hebdo sera alors à nouveau au centre des passions.
Maryse Wolinski, les mots de ceux qui restent
Le 7 janvier 2015, deux terroristes se sont introduits dans les locaux de Charlie Hebdo et ont ouvert le feu sur les collaborateurs, tuant 11 personnes dans la rédaction. Parmi les victimes, les dessinateurs Cabu, Charb, Tignous et Wolinski.
L'épouse de celui-ci Maryse Wolinski confie mardi dans La Matinale que l'absence de son compagnon est "quotidienne". "Pour moi, le 7 janvier, c'est tous les jours", ajoute-t-elle. "C'est aussi pour cela que je n'assiste pas aux commémorations, où l'on se retrouve piégé à serrer des mains et répondre aux questions des journalistes. Je préfère être chez moi ce jour-là."
Violence transmissible
Tristesse, fragilité, absence du regard de l'être aimé: le vertige d'une solitude brutalement imposée résonne également d'échos de colère, portant sur les failles de sécurité dans la protection du journal. "La surveillance de Charlie Hebdo a été supprimée en octobre 2014. Pourquoi? Je n'ai toujours pas de réponse à cette question", déplore Maryse Wolinski.
Elle a choisi de publier son nouveau roman "Au risque de la vie" en avril prochain, quelques jours avant le procès de Charlie Hebdo qui se tiendra du 4 mai au 27 juillet. Un procès "très important" pour elle, qui lui servira de tribune pour faire passer un message. "L'impact de la violence sur les familles des victimes est énorme, elle se transmet de génération en génération, et personne n'en parle", souligne Maryse Wolinski. "Je veux que les accusés entendent ce message."
Alexandre Habay/Xavier Alonso
Adaptation web: Katharina Kubicek
"Les leçons n'ont pas été tirées", selon RSF
Cinq ans après la tuerie à Charlie Hebdo, l'organisation Reporters sans frontières (RSF) et deux rapporteurs spéciaux de l'ONU ont appelé les organisations internationales et les Etats à protéger les journalistes face à une montée de l'intolérance religieuse.
Lors d'une conférence de presse à Paris, le secrétaire général de RSF Christophe Deloire a estimé que les leçons de l'attentat contre l'hebdomadaire satirique français n'avaient pas été tirées.
Le "blasphème" en question
Huit pays ont supprimé la notion de blasphème de leur cadre juridique depuis cet événement tragique, mais 69 continuent de le réprimer, et 6 pays le punissent de la peine de mort (Mauritanie, Brunei, Pakistan, Iran, Afghanistan).
Et, même dans les Etats comme la France où le droit au blasphème est reconnu, des journalistes doivent vivre sous protection policière, comme ceux de Charlie Hebdo, et son exercice devient de plus en plus difficile, face aux pressions et menaces qui s'exercent, notamment via les réseaux sociaux.
Hommages à Paris
Cinq ans après les attaques, de sobres hommages ont été rendus mardi aux victimes de janvier 2015 à Charlie Hebdo, Montrouge et l'Hyper Cacher, point de départ d'une vague d'attentats jihadistes en France, qui vit depuis sous une menace terroriste élevée.
Une centaine de personnes s'est rassemblée à 11h devant les anciens locaux de Charlie Hebdo où, à la même heure jour pour jour, les frères Saïd et Chérif Kouachi tuaient 11 personnes avant de prendre la fuite.
Aux premiers rangs se trouvaient les ministres de l'Intérieur Christophe Castaner, de la Justice, Nicole Belloubet et de la Culture Franck Riester, ainsi que la maire de Paris Anne Hidalgo et l'ancien président François Hollande
Cinq ans déjà, et le souvenir de cette terrible journée de janvier est toujours aussi présent. Je pense à tous ceux qui ont perdu la vie le 7 janvier 2015 parce qu’ils représentaient le rire et la liberté. Ce jour là, j’ai aussi perdu des amis. #JeSuisCharlie pic.twitter.com5v0bByGw0
— François Hollande (@fhollande) January 7, 2020
Dépôts de gerbe, minutes de silence, Marseillaise: le même rituel, tout en sobriété à la demande des familles, s'est répété ensuite là où un lieutenant de police a été abattu par les frères Kouachi, puis porte de Vincennes devant le magasin Hyper Cacher, où Amédy Coulibaly a tué quatre hommes, tous juifs, lors d'une prise d'otages le 9 janvier 2015. Un hommage à une policière tuée à Montrouge le 8 janvier est aussi prévu.