"C’est une affaire hors norme", a annoncé en introduction le professeur Michel Debout, qui a examiné Bernard Preynat à plusieurs reprises, au deuxième jour de son procès pour agression sexuelle sur mineurs. Il a décrit "un pervers sexuel, c’est-à-dire quelqu’un qui n’accède pas à la souffrance de l’autre, qui est dans le déni de la souffrance des enfants".
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Le professeur Debout a aussi expliqué que le choix de la prêtrise était certainement lié à ses tendances pédophiles. "C'est une situation sociale qui permet d’éviter le problème de sa propre sexualité. Comme le mariage y est interdit, il n’y a pas à répondre des raisons d’un long célibat. Cela évite les questions".
Sa hiérarchie n'a pas bougé
Bernard Preynat, de son côté, a raconté que sa hiérarchie, informée par la rumeur de ses agissements, n’avait jamais cherché à en savoir plus. Il rapporte son entretien en 1990 avec le cardinal Albert Decourtray qui l’avait convoqué: "Quand je lui ai dit que c’était une longue histoire, il a fait un geste du bras pour que je n’en dise pas plus", se souvient-il.
Au début des années 2000, convoqué cette fois-ci par le cardinal Billé, il ajoute que celui-ci ne lui a posé aucune question sur les faits, lui demandant juste s'ils étaient prescrits, puis l'envoyant chez un avocat. "A l’avocat, j’ai tout raconté et, à cette époque, les faits n’étaient pas prescrits", détaille-t-il. Convoqué ensuite en 2010 par le cardinal Philippe Barbarin pour la même affaire, il dit avoir reçu le même accueil. "Il ne m’a pas posé de questions particulières. Il m'a juste dit qu’il allait réfléchir pour savoir s’il allait me nommer curé ailleurs. Il m’a finalement nommé au Coteau".
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"Sans accuser" l'Eglise, a-t-il dit, l'ex-prêtre a évoqué la responsabilité de sa hiérarchie qui, plusieurs fois alertée de ses pulsions, n'a pas exigé qu'il se fasse soigner. "On aurait dû m'aider... On m'a laissé devenir prêtre", explique-t-il, mentionnant une thérapie infructueuse suivie en 1967 et 1968.
Plusieurs heures de confrontation
Après plusieurs heures de confrontation avec ses victimes, les dix dont les agressions ne sont pas prescrites et qui siègent sur les bancs des parties civiles (lire encadré), Bernard Preynat a évoqué les autres. "Toutes ces victimes, pour des faits prescrits, je les considère aussi comme des victimes et je leur adresse aussi ma demande de pardon. La prescription ne m’exonère pas de cette démarche".
Il a évoqué également deux cas de viols, prescrits eux aussi, commis sur des garçons plus âgés, de 13 à 15 ans, en assurant qu’à l’époque, "il pensait qu’ils étaient consentants".
Reuters/vic
Témoignages accablants des victimes
Devant le tribunal correctionnel, les témoignages accablants des dix victimes parties civiles ont continué de s'égrener mercredi. Plusieurs ont protesté contre les tentatives de minimisation des faits de Bernard Preynat, qui évoque des caresses plutôt que des masturbations forcées.
"Ma femme me caresse. Lui, c'était de la masturbation; il me touchait comme un sauvage", s'est indigné à la barre l'une des victimes, âgée de huit ans à l'époque des faits. "Depuis, je me suis marié. J'ai des enfants mais j'ai beaucoup de mal à les toucher", reconnaît-il, attribuant ces difficultés au traumatisme vécu dans son enfance.
Multiples actes sur une multiplicité d'enfants
Une autre victime se souvient des attouchements de l'ex-prêtre, notamment dans les bureaux du premier étage de l'église Saint Luc de Sainte-Foy-lès-Lyon (F). "Quand Preynat m'agressait, il pouvait parler de scoutisme, complètement en décalage avec ce qu'il me faisait". Quand on est abusé, "on est un pantin dans un corps qui ne nous appartient plus", a-t-il conclu, la gorge serrée.
"J'étais très loin de tous les agresser, Dieu merci!", s'est maladroitement défendu Preynat un peu plus tôt au milieu de murmures, en réponse à la présidente du tribunal qui soulignait de sa part "une multiplicité d'actes sur une multiplicité d'enfants pendant une vingtaine d'années".
afp/vic
Abusé lui-même durant sa jeunesse
Alors que, depuis le début de son procès, Bernard Preynat s'était contenté de reconnaître partiellement les faits en demandant pardon, sa défense a pris un nouveau tour mercredi. Il a surpris jusqu'à son avocat en évoquant pour la première fois des abus qu'il aurait lui-même subis dans sa jeunesse, en se référant à une lettre écrite l'été dernier à l'administrateur apostolique de Lyon Michel Dubost.
Dans ce courrier, Preynat raconte notamment avoir été successivement agressé sexuellement par un sacristain de sa paroisse, un séminariste et un prêtre au petit séminaire, des faits qu'il n'avait jamais évoqués avant d'être interrogé par une inspectrice de police début 2016.
Ces révélations ont pris de court son avocat Frédéric Doyez. "Je ne dirais pas que je suis étonné. C'est ce qui se passe lors d'une audience. Mais s'il n'en avait pas parlé, c'est peut-être par crainte que l'on pense que c'est en quelque sorte pour se dédouaner", a-t-il déclaré en marge de l'audience.