Le "Janvier sobre", c'est l'occasion pour les consommateurs de faire une pause boisson après des fêtes souvent arrosées, et une manière de réfléchir à leur consommation d'alcool.
Cette opération de prévention marche très fort dans plusieurs pays. Mais en France, le "Dry January" provoque un vrai débat de société, avec son lot de tribunes et de contre-tribunes. Un projet de campagne soutenu par l'agence gouvernementale Santé publique France était bien avancé à fin 2019. Mais, en novembre dernier, coup de théâtre: le président Emmanuel Macron, en déplacement à Epernay, en Champagne, a déclaré devant les représentants de la filière viticole que l'opération n'aurait pas lieu. L'Elysée a précisé ensuite la position du président: il est opposé au principe d'interdiction. Les associations, elles, répondent qu'il n'a jamais été question d'interdiction, mais surtout de prévention.
L'intérêt économique est l'argument qui a primé, car le vin représente annuellement plus de 30 milliards en exportations.
Le fait que les vignerons aient l'oreille du président n'étonne toutefois pas Samy Amri, chargé de projet à l'Association Actions Addictions. "L'intérêt économique est l'argument qui a primé, car le vin représente annuellement plus de 30 milliards en exportations. On voit aussi que des membres du gouvernement sont affiliés à ce lobby (...), par exemple Audrey Bouroulleau (ancienne conseillère agriculture d'Emmanuel Macron, ndlr), qui travaillait chez Vin et Société", réagit-il, mardi dans l'émission Tout un monde.
Une opération qui rate sa cible?
La France a-t-elle un lobby du vin? Le terme peut être discuté, mais la réponse est oui. Et comme d'autres secteurs, il parvient à peser sur les décisions politiques. "En France, le vin a une place particulière. Il est présent dans 66 départements, il y a plus de 500'000 personnes qui travaillent sur le vin. Et puis c'est culturel, il façonne nos territoires", explique le président de l'association Vin et Société, Joël Forgeau, vigneron dans la Vallée de la Loire.
"Il y a beaucoup de parlementaires qui entendent ce discours, qui voient l'évolution des vignerons (...) et qui n'arrivent pas à comprendre qu'il y ait des volontés du ministère de la Santé de durcir encore un peu plus la communication autour du vin", poursuit-il.
Faire une campagne massive, à l'attention de la totalité des Français, alors qu'il y a une toute petite frange d'alcoolo-dépendants, on ne voit pas du tout comment la cible est atteinte.
Mais sur le fond de l'opération "Dry January", Joël Forgeau estime que le message rate sa cible. "Neuf Français sur dix ont aujourd'hui une consommation inférieure au seuil de consommation à moindre risque qui a été mis en avant par Santé publique France. Donc, faire une campagne massive, à l'attention de la totalité des Français, alors qu'il y a une toute petite frange d'alcoolo-dépendants, on ne voit pas du tout comment la cible est atteinte", souligne-t-il. Le vigneron trouve d'ailleurs que ce discours est plus proche de la morale que de la santé.
Une étude du Lancet, relayée par L'OMS, rappelle toutefois qu'il n'y pas de quantité saine de consommation d'alcool, même à faible dose. Cela dit, le message des vignerons français a été entendu.
Art de vivre contre mise en garde sanitaire
Quant aux associations de prévention, elles ont mené campagne, mais le message est sans doute moins porteur sans l'appui explicite des pouvoirs publics. Parce que sans l'Etat, la bataille de la communication est déséquilibrée.
Et puis l'argument culturel est très profondément ancré. C'est tout l’argumentaire développé dans une tribune publiée dans le Figaro contre le "Dry January", rédigée en décembre par l’écrivain Philippe Claudel et co-signée par une série de personnalités. "À quoi reconnaît-on qu'une civilisation s’effondre? Peut-être au désintérêt dont certains font montre à l'égard de son patrimoine", peut-on lire en introduction du texte qui défend la notion de culture et de plaisir. Art de vivre à la française contre mise en garde sanitaire: les deux approches sont pour l'instant difficiles à réconcilier.
Sujet radio: Alexandre Habay
Adaptation web: Jessica Vial