Des survivants et des dirigeants commémorent la libération d'Auschwitz il y a 75 ans
- Le 27 janvier 1945, les troupes soviétiques entraient dans l'enceinte du camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau et découvraient la réalité du programme d'extermination mis au point par les nazis. Plus d'un million de prisonniers, juifs pour la plupart, y ont trouvé la mort, sur les six millions de Juifs tués durant la Shoah. Auschwitz a été le plus meurtrier de tous les camps nazis et reste aujourd'hui le seul à avoir été préservé.
- Exactement 75 ans plus tard, une cérémonie a réuni lundi quelque 200 survivants et des dirigeants de nombreux pays, dont la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga.
- Les cérémonies ont débuté la semaine dernière à Jérusalem, dans le cadre du 5e Forum mondial sur la Shoah. Une quarantaine de dirigeants internationaux se sont réunis jeudi au Mémorial de Yad Vashem pour commémorer ce 75e anniversaire.
- La date du 27 janvier a été officiellement proclamée en 2005 Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes du régime nazi par l'Assemblée générale des Nations unies. La commémoration est placée cette année sous le thème "La mémoire et l’enseignement de l’Holocauste: notre responsabilité partagée".
Cérémonie à Auschwitz
200 survivants et de nombreux dirigeants
En Pologne, près de 200 survivants d'Auschwitz-Birkenau arrivés du monde entier commémorent lundi les 75 ans de la libération du camp d'extermination.
Autour d'eux se trouvent des représentants d'une soixantaine de pays, majoritairement européens, dont le président allemand Frank-Walter Steinmeier, le Premier ministre français Edouard Philippe et la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga (voir ci-dessous).
Les survivants, pour certains vêtus de bonnets et écharpes à rayures bleues et blanches symbolisant les uniformes que les prisonniers portaient au camp, ont traversé le tristement célèbre portail en fer forgé "Arbeit macht frei" (en allemand, "Le travail rend libre"). Accompagnés par le président polonais Andrzej Duda, ils ont déposé des couronnes de fleurs près du "mur de la mort", où les nazis ont abattu des milliers de prisonniers.
"Nous voulons que la prochaine génération sache ce que nous avons vécu, et que cela ne se reproduise plus jamais", a déclaré avant David Marks, 93 ans, survivant d'Auschwitz.
Pour les survivants du camp, malgré le poids des ans et la charge des souvenirs, ce voyage est un travail de mémoire et presque une mission:
"J'ai une obligation vis-à-vis du monde. Mon devoir, c'est de faire en sorte que la mémoire reste vivante, c'est pour cela que je reviens ici régulièrement. Pour me souvenir, car la vie continue", confie Benjamin Lesser, survivant du camp.
Simonetta Sommaruga sur place
"Nous avons une responsabilité pour le futur"
La présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga s'est rendue dans le camp d'extermination pour les cérémonies du jour. Elle était accompagnée de survivants suisses et de deux étudiants.
La Bernoise a publié un message à cette occasion: "En cette année qui marque le 75e anniversaire de la libération des camps, nous nous souvenons des millions de victimes et survivants juifs de la Shoah. Nous nous souvenons aussi des Sinti, des Roms et des Yéniches et de toutes les autres personnes qui ont souffert sous le national-socialisme et ont été victimes de la barbarie nazie".
Simonetta Sommaruga a également rappelé que des ressortissants suisses ont aussi été emprisonnés dans des camps de concentration et que près de la moitié y sont morts. "Aujourd'hui, je voudrais aussi rappeler leur mémoire. Mes pensées vont également aux survivants suisses, qui n'ont trop souvent connu que rejet et manque d'empathie après la guerre", a poursuivi la présidente de la Confédération.
La ministre espère que les démocraties libérales sauront toujours empêcher de tels crimes et "que nous saurons toujours nous opposer avec courage et conscience citoyenne aux régimes illégitimes". Les erreurs du passé ne peuvent pas être effacées, "mais on peut apprendre de ces erreurs, ouvrir les yeux et rester critique".
"Ne jamais oublier"
"Il ne faut jamais oublier ce qui s'est passé ici", a confié la présidente de la Confédération à la RTS plus tard dans la journée. "Je suis venue ici avec des survivants, mais aussi avec des étudiants en histoire. On a une responsabilité pour le futur", a-t-elle poursuivi, visiblement émue.
Elle a insisté sur l'importance de transmettre cette mémoire aux futures générations, qui vivront bientôt dans un monde où il n'existera plus de survivants des camps de concentration.
>> Ecouter son interview, diffusé lundi dans Forum:
Combien de vies auraient pu être sauvées à l'époque, en Europe, si davantage d'hommes et de femmes avaient dit "non" à l'antisémitisme et au racisme? s'est aussi interrogée la conseillère fédérale.
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La mémoire par la musique
Un Genevois joue le répertoire de la Shoah
La mémoire de la Shoah est respectée ce lundi via une cérémonie à Auschwitz. Mais entre un cintre cassé, une poupée, un sucrier ou une bille, la mémoire passe aussi par des objets. Ou encore par la mémoire immatérielle de la musique écrite dans les camps ou par le témoignage en hologrammes de survivants.
"Objets transmissionnels, liens familiaux à la Shoah", un livre co-écrit par Ilan Lew et Michel Borzykowski, présente 40 portraits et récits autour d'objets reçus ou conservés par d'anciens enfants cachés juifs ou descendants de survivants de la Shoah.
Descendant de survivants de l'Holocauste, le Genevois Michel Borzykowski joue lui le répertoire musical de la Shoah. Des chants de lutte et d’espoir, qu’il estime nécessaire de transmettre aux générations futures pour ne pas oublier.
"J'ai des enfants et des petits-enfants et j'aimerais qu'ils n'aient jamais à revivre ce qu'ont vécu mes parents et mes grands-parents", témoigne-t-il sur RTSinfo.
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Osviecim, une ville au lourd fardeau
"On essaie de pas trop y penser"
Exactement 75 ans après la libération du camp d'extermination qui porte son nom, Auschwitz demeure un lieu fantôme, un nom que tout le monde connaît, que tout le monde associe à l'horreur.
Aujourd'hui, la ville s'appelle Osviecim et elle compte 40'000 habitants, pour la plupart de nationalité polonaise. Pour eux, l'histoire est une réalité et également un poids lourd à porter.
L’ancien camp de concentration et d’extermination se trouve en bordure de la ville, à moins de 200 mètres des premières habitations.
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"Nous qui vivons ici près du site d'Auschwitz, on essaie de ne pas trop y penser, parce que c'est trop difficile de vivre avec un tel souvenir. Les gens ont leurs problèmes, leur boulot. Ils essaient juste de vivre dans le présent", confie ainsi un habitant Osviecim.
Pour les habitants, distinguer le nom de la ville de celle du camp est primordial. Auschwitz, c’est le cauchemar, l’Holocauste, l’extermination massive des Juifs. Oswiecim est la ville dans laquelle on essaye de vivre, où on reconstruit la vie. La jeune génération aspire elle à une vie ordinaire malgré le poids de l’histoire.
"Moi, j’étais le matricule 85595. Ils nous ont tondu les cheveux, on a perdu toutes nos belles nattes. On ne se reconnaissait plus entre nous. Après, on nous a amenés dans notre baraquement. Une fois entrée, j'ai regardé par la fenêtre, j'ai vu mon reflet et j’ai cru voir un garçon." Ce témoignage est celui de Janina Gabryela Iwanska, 90 ans aujourd'hui, mais 14 ans au moment de sa déportation à Auschwitz.
La Polonaise est régulièrement invitée dans les classes en Allemagne. Elle raconte aux jeunes son histoire et leur répète inlassablement que pour vivre, il faut s’entraider. Elle se dit terrifiée de voir que le monde est de plus en plus individualiste, que les gens ne se parlent plus et n’essaient plus de se comprendre. C’est comme ça, selon elle, que la guerre aurait commencé.
Les dirigeants des alliés d'autrefois - les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Russie - et de l'Allemagne, alors gouvernée par les nazis, ont pris la parole jeudi.
"J'aurais voulu pouvoir dire que nous les Allemands avons tiré les leçons de l'histoire une bonne fois pour toutes, mais je ne peux pas l'affirmer à l'heure où la haine se répand", a déclaré le président Franz-Walter Steinmeier, en référence à la résurgence de l'extrême droite en Europe. "Bien sûr, nous vivons une autre époque, mais le mal est le même. Et il n'existe qu'une seule réponse: plus jamais."
"Nous avons une dette à l'égard du passé et de l'avenir. La Shoah est une tragédie dont nous garderons le souvenir à jamais", a ajouté à son tour Vladimir Poutine, qui a également inauguré à Jérusalem un monument en mémoire aux victimes du siège de Leningrad.
>>Ecouter l'intervention de Vincent Stöcklin dans Forum à ce sujet:
"Nous devons transformer nos sociétés pour que les graines de la division ne se développent pas", a averti le Prince Charles. "Nous devons nous rappeler qu'une seule vie humaine est comme un univers tout entier."
La Shoah ne peut être utilisée pour justifier la "division" ou "la haine contemporaine", a souligné à son tour Emmanuel Macron. "Quel plus beau symbole que de nous voir ici tous rassemblés et unis, de faire oeuvre utile pour lutter contre le déni comme le ressentiment ou les discours de vengeance?"
La question iranienne a néanmoins resurgi jeudi, lorsque le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a exhorté la communauté internationale à prendre des mesures rapides contre Téhéran et son programme nucléaire et balistique.
L'Etat hébreu tente cette semaine de persuader les Etats-Unis, la Russie et la France, d'user de leur influence au Moyen-Orient pour y juguler celle de l'Iran, présenté comme la nouvelle menace contre les Juifs, 75 ans après la Shoah. De son côté, la République islamique dément vouloir se doter d'un programme nucléaire à des fins militaires.
Israël s'opposait à l'accord sur le nucléaire iranien de 2015 et appelle les Européens à soutenir les Etats-Unis, qui s'en sont retirés en mai 2018 avant de rétablir des sanctions contre Téhéran et de tuer début janvier le général Qassem Soleimani, provoquant une onde de choc.
"Nous devons rester forts face au premier Etat pourvoyeur d'antisémitisme, et qui voudrait rayer Israël de la carte du monde", a déclaré de son côté le vice-président américain Mike Pence.
Journée placée sous le thème de l'enseignement
Missions de recherche de Yad Vashem
Créé en 1953, le Mémorial Yad Vashem à Jérusalem est le plus grand lieu de commémoration de la Shoah dans le monde. Au coeur du complexe de 20 hectares installé dans une forêt, le musée accueille près d'un million de visiteurs annuels.
Depuis 1963, Yad Vashem s'est donné comme mission de témoigner de la reconnaissance de l'Etat d'Israël envers ceux qui ont sauvé des Juifs des griffes des nazis au péril de leur propre vie.
L'autre mission du Mémorial est la recherche des noms de toutes les victimes de la Shoah. Dans la Salle, des noms sont exposés sous un grand dôme tapissé de photos, des classeurs contenant les identités des millions de victimes du génocide. Dans le parc, des bougies sont alignées dans une caverne souterraine en hommage aux enfants juifs assassinés.
"Les gens ont de la difficulté à croire à la monstruosité de l’histoire"
Les explications de Martine Brunschwig Graf
La présidente de la Commission fédérale contre le racisme Martine Brunschwig Graf rappelle à quel point les témoignages des derniers survivants de la Shoah sont précieux, surtout pour les plus jeunes.
"Les témoignages touchent, font comprendre et créent des discussions", explique-t-elle jeudi dans La Matinale. "Les réseaux sociaux, les théories du complot commencent à miner la réalité pour des jeunes qui n'ont jamais côtoyé des gens qui ont vécu la Shoah. Le problème aujourd'hui, c'est que les gens ont de la difficulté à croire à la monstruosité de l'histoire."
Recrudescence d'actes antisémites
Au-delà du devoir de mémoire, les commémorations ont pour mission de lutter contre l'antisémitisme, en résurgence en Europe. Selon une étude dévoilée lundi, un tiers des Français (34%) de confession ou de culture juive déclare se sentir régulièrement menacé en raison de son appartenance religieuse. Selon l'ancienne conseillère nationale, la vigilance est de mise même en Suisse, qui a également connu une hausse de tels actes en 2018.
"Une part d'antisémitisme a malheureusement toujours été présente dans les sociétés et elle ne recule pas. Pour combatte cette réalité, on doit la traiter, la reconnaître, la discuter et la dépasser."
Incidents et polémiques
Le président polonais Andrzej Duda absent
Le président polonais, pays sous occupation nazie pendant la guerre et où était situé le camp d'Auschwitz libéré en janvier 1945, a annulé son voyage à Jérusalem car il n'avait pas été invité à prononcer un discours lors de la cérémonie.
Le tout se déroule sur fond de tensions avec Vladimir Poutine, qui a récemment accusé la Pologne d'avant-guerre de collusion avec Hitler et d'antisémitisme.
Son homologue lituanien a annulé son voyage pour la même raison, condamnant le chef d'Etat russe pour avoir minimisé la signification du pacte secret germano-soviétique de 1939, en vertu duquel les deux puissances s'étaient partagé l'Europe de l'Est au début de la Seconde Guerre mondiale.
La découverte des camps
Une lente prise de conscience
A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la libération des premiers camps a peu de retentissement, mais les images de ce que les Alliés y découvrent, d'abord censurées, vont faire prendre conscience au monde de l'horreur de la Shoah.
La libération des camps de concentration et d'extermination nazis intervient dans le sillage de l'avancée vers Berlin des armées alliées et de l'Armée rouge.
Elle débute le 24 juillet 1944, avec la découverte du camp de Majdanek (dans la banlieue de Lublin, en Pologne) par l'Armée rouge pour se terminer le 8 mai 1945 avec la libération de Theresienstadt au nord de Prague.
Dès le mois de juin 1944, le Reichsführer Heinrich Himmler avait ordonné l'évacuation des camps avant l'arrivée des Alliés et le transfert des détenus vers d'autres camps.
Ainsi la libération, par l'Armée rouge, d'Auschwitz-Birkenau a-t-elle été précédée par la dissolution progressive du complexe, à partir de l'été 1944 et par l'évacuation de plus de 60'000 détenus.
Lorsque les Soviétiques arrivent, ils ne découvrent que quelque 7000 prisonniers, incapables de marcher et de suivre leurs camarades dans les "Marches de la mort".
La découverte des premiers camps n'a guère de retentissement auprès du grand public jusqu'au 6 avril 1945, avec la découverte du camp d'Ohrdruf, une annexe de Buchenwald (Allemagne). Quand les Américains, accompagnés du correspondant de guerre Meyer Levin et du photographe de Eric Schwab, y pénètrent, ils voient les brasiers encore fumants, les prisonniers décharnés exécutés d'une balle dans la tête.