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L'Italie et sa gastronomie bousculées par les étiquettes nutritionnelles

Le système volontaire d'étiquetage nutritionnel, du nom de Nutri-Score, est apposé sur la face avant des emballages: il permet de classifier les aliments et boissons selon leur profil nutritionnel grâce à des couleurs allant du vert foncé (lettre A) au rouge (lettre E). [Keystone/dpa - Christophe Gateau]
La guerre des étiquettes alimentaires fait rage en Europe / Tout un monde / 7 min. / le 29 janvier 2020
En Europe, la guerre des étiquettes alimentaires fait rage. Et le Nutri-Score, un logo coloré qui indique la qualité nutritionnelle des aliments et des boissons, pourrait s'imposer dans l'Union. Mais l'Italie monte au front pour défendre sa gastronomie nationale.

La France défend le Nutri-Score. L'Espagne, la Belgique et des multinationales comme Danone ou Nestlé ont adopté ce logo nutritionnel sur une base volontaire. Et à terme, l'Union européenne devrait décider si elle veut aussi l'appliquer. Mais l'Italie, elle, résiste. Certains Italiens considèrent même que le Nutri-Score est une attaque orchestrée en sous-main par la France, qui a adopté ce logo il y a deux ans.

"Le Nutri-Score repose vraiment sur des bases scientifiques", se défend Serge Hercberg, professeur de nutrition à l'Université Paris 13, et père du Nutri-score. "On a pu montrer que son calcul permettait vraiment de trouver une prédiction avec le risque de maladie. Ensuite, il a été testé avec d'autres logos existants, dans des enquêtes grandeur nature, dans des supermarchés: c'est celui qui était le mieux compris, le mieux perçu et le mieux utilisé par les consommateurs", précise-t-il.

L'atout de cette étiquette, c'est aussi sa simplicité. La valeur nutritionnelle des aliments y est indiquée par des carrés de couleur, allant du vert au rouge, et agrémenté de lettres. "Vert et A": le produit peut être consommé sans modération. "Rouge et E": il faut le limiter. Un algorithme fait la balance entre les "bons" nutriments, tels que fibres, protéines, fruits ou légumes, et les autres: les acides gras saturés, le sucre et sel.

Attaque contre "les fondements de la diète méditerranéenne"

Mais aux yeux de Serge Hercberg, pour que l'étiquette nutritionnelle soit vraiment efficace, il faut la rendre obligatoire dans toute l'Union. Et c'est cela qui met en colère les Italiens. Le chef de file de la Lega, Matteo Salvini, récemment en campagne pour les élections dans l'Emilie-Romagne, patrie du parmesan, a par exemple twitté furieusement que ce logo était une imbécilité.

Le ministre italien de la Santé, Roberto Speranza, a lui aussi marqué en décembre son opposition au système "feu rouge". Il a dit avoir fait part de sa "perplexité" et de sa "préoccupation" par rapport au Nutri-Score, jugeant son évaluation "partiale".

Ettore Prandini, président de Coldiretti, le plus grand syndicat agricole d'Italie, estime, lui, que l'on attaque les fondements mêmes de la diète méditerranéenne, reconnue patrimoine immatériel de l'Unesco. "L'agro-alimentaire italien, ou en tout cas l'agro-alimentaire de haute qualité produit en Europe, risque d'être fortement pénalisé", assure-t-il.

Une boisson gazeuse diététique pourrait avoir le feu vert parce qu'elle n'a pas de sucre, alors qu'on pénalise des produits naturels, qui sont bien meilleurs pour la santé, mais qui sont à consommer avec modération.

Ettore Prandini, président de Coldiretti, le plus grand syndicat agricole d'Italie

Et de donner un exemple: "Prenez un morceau de parmesan grana padano, reggiano, ou encore les huiles d'olive extra-vierges, qui sont notre domaine d'excellence... Paradoxalement, une boisson gazeuse diététique pourrait avoir le feu vert parce qu'elle n'a pas de sucre, alors qu'on pénalise des produits naturels, qui sont bien meilleurs pour la santé, mais qui sont à consommer avec modération. Il ne faut pas être sorcier pour comprendre qu'un verre de lait est plus sain qu'un Red Bull!", s'indigne Ettore Prandini.

Mais, pour Serge Hercberg, il ne s'agit pas de promouvoir des aliments sans valeur ajoutée, ni de mettre les produits italiens à l'index. "Dire que l'on attaque la gastronomie italienne parce qu'on classe la charcuterie en E ou en D est une stupidité (...). En Italie, un enfant sur trois est en surpoids ou obèse, parce qu'on perd le modèle d'alimentation méditerranéen... qui n'est pas de manger tous les jours du prosciutto ou du gorgonzola", réagit-il.

Dire que l'on attaque la gastronomie italienne parce qu'on classe la charcuterie en E ou en D est une stupidité.

Serge Hercberg, professeur de nutrition à l'Université Paris 13, et père du Nutri-Score

Contre-attaque

Pourtant, on pourrait penser que ce sont les petits producteurs, les représentants du terroir italiens, qui s'opposent le plus au Nutri-Score. Mais il y a aussi, derrière, les grandes multinationales de l'alimentation. "Coca Cola, Ferrero, Mondelez, Mars, Unilever, condamnent le Nutri-Score parce qu'ils fabriquent des produits qui sont mal classés (...). Cela dérange beaucoup d'intérêts économiques, en Italie et ailleurs", explique Serge Hercberg.

Ce débat alimente le protectionnisme des agriculteurs, des industriels et même de la fédération des consommateurs transalpins... Le gouvernement italien a même lancé un contre-label, qu'il veut proposer à l'Union européenne: celui-ci se base sur des portions quotidiennes à consommer plutôt qu'une grille de couleurs, considérée comme trop alarmiste et donc mauvaise pour les exportations.

Sujet radio: Francesca Argiroffo
Adaptation web: Jessica Vial

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Des scientifiques italiens soutiennent le Nutri-Score

Malgré l'opposition du gouvernement italien au Nutri-Score, plusieurs scientifiques ont lancé en décembre un appel à soutenir ce système d'étiquetage et à "ne pas en avoir peur".

Paolo Vineis de l'Imperial College de Londres, Elio Riboli, de l'Université Humanitas de Milan, Walter Ricciardi, de l'Université Cattolica del Sacro Cuore de Rome, Mauro Serafini, de l'Università degli Studi di Teramo et Silvio Garattini de l'Institut de recherche pharmacologique Mario Negri de Milan assurent que le Nutri-Score "a une base scientifique très solide" et n'est en aucun cas "un complot de l'Union européenne", ni une "arme contre la diète méditerranéenne".

"Nous espérons que les consommateurs, les politiciens et les autorités sanitaires italiens comprennent la véritable signification du système Nutri-Score au-delà des controverses politiques instrumentales de nos jours", écrivent les chercheurs.

Et en Suisse?

Les autorités de santé publique suisses recommandent l'utilisation du Nutri-Score depuis fin avril 2019. La Fédération romande des consommateurs milite d'ailleurs depuis plusieurs années pour l'introduction généralisée de ce système.

En mars dernier, l'ancien conseiller national socialiste genevois Manuel Tornare avait déposé au Parlement une motion demandant "l'obligation du label Nutri-Score sur les emballages et dans les publicités des produits industriels". Mais le Conseil fédéral lui avait répondu qu'il n'était "actuellement pas nécessaire d'inscrire dans la loi l'obligation d'utiliser un système d'étiquetage en Suisse".

Cependant, depuis juin 2019, on peut trouver dans les supermarchés helvétiques des produits portant cette étiquette: ceux du géant agro-alimentaire Nestlé, mais aussi certains produits Danone. Les magasins Aldi ont également annoncé en août dernier qu'une partie de leurs produits porterait le Nutri-Score.