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"L'Irlande du Nord et l'Ecosse risquent de quitter le Royaume-Uni"

Jonathan Powell, ancien chef de cabinet et conseiller de Tony Blair de 1997 à 2007. [afp - Leon Neal]
Jonathan Powell, ex-conseiller de Tony Blair, livre son analyse sur l'avenir post-Brexit / Tout un monde / 6 min. / le 30 janvier 2020
Ancien chef de cabinet et conseiller de Tony Blair de 1997 à 2007, le diplomate britannique Jonathan Powell analyse au micro de Tout un monde les défis de l'ère post-Brexit. Selon le travailliste, une scission au sein des provinces du Royaume-Uni n'est pas exclue.

L'accord de Brexit de Boris Johnson prévoit pour la sortie du Royaume-Uni une transition jusqu'à la fin de cette année. Durant cette période, Londres ne sera plus représentée dans les institutions européennes, mais poursuivra ses discussions avec Bruxelles quant à leurs relations futures.

A l'aube de ce nouveau chapitre, les questions identitaires cristallisées lors du vote sur le Brexit en juin 2016 réapparaissent. Les résultats du référendum révélaient alors un Royaume-Uni très divisé: alors que le "oui" s'était imposé en Angleterre et au Pays de Galles, l'Ecosse et l'Irlande du Nord avaient montré leur attachement à l'Union européenne.

Des référendums pour s'émanciper de Londres

La frontière entre la République d'Irlande, membre de l'UE, et la province britannique d'Irlande du Nord a d'ailleurs été l'un des points les plus délicats des négociations. Un retour à une séparation physique entre les deux pays aurait mis en péril les accords de paix du Vendredi Saint, qui ont mis fin en 1998 à 30 ans de conflit armé entre nationalistes et unionistes. Boris Johnson a finalement trouvé une solution de dernière minute pour éviter un tel scénario, en sortant la totalité du Royaume-Uni de l'Union douanière européenne après la période de transition. Exit la clause du "backstop" proposée par Bruxelles.

On ne peut pas imaginer qu'une partie du Royaume-Uni puisse se prononcer via un référendum, mais que cela soit refusé à une autre partie

Jonathan Powell, ancien chef de cabinet du Premier ministre

Malgré tout, le nouvel accord ne satisfait pas l'Irlande du Nord. "L'accord du Vendredi Saint exige de convoquer un référendum sur la réunification de l'Irlande si une majorité le demande", explique Jonathan Powell. "Jusqu'à récemment, un tiers des catholiques d'Irlande du Nord y étaient opposés. Mais le fiasco du Brexit a modifié ces pourcentages et ils sont maintenant 10%, peut-être même moins."

Selon l'ex-chef de cabinet, un éventuel référendum pourrait aussi influencer l'Ecosse, qui a soumis une demande officielle pour un second scrutin sur son indépendance. "On ne peut pas imaginer qu'une partie du Royaume-Uni puisse se prononcer via un référendum, mais que cela soit refusé à une autre partie", souligne Jonathan Powell. "On ne peut exclure que cela survienne dans les dix prochaines années. Surtout si on va de l'avant avec un Brexit dur, qui s'éloigne véritablement du reste de l'Union européenne. Il n'y a pas que l'Irlande du Nord qui risque de partir, mais aussi l'Ecosse."

Je pense qu'à l'avenir, le pays restera très focalisé sur l'identité et politiquement très divisé

Jonathan Powell

En attendant, les parlementaires nord-irlandais et écossais tenteront certainement d'influencer la manière dont l'accord de Brexit sera appliqué. Mais d'abord, Boris Johnson sera bientôt confronté à des décisions difficiles qui pourraient provoquer des vagues.

"Dans certaines communautés, la pêche est une question vitale", poursuit Jonathan Powell. "Un certain nombre de personnes ont voté pour le Brexit pensant pouvoir entièrement bénéficier de leurs stocks de poissons. Mais l'Union européenne ne sera pas d'accord. Elle va demander l'accès à nos zones de pêche pendant encore quelques temps. Boris Johnson va donc devoir plier sur cette question d'ici l'été pour pouvoir parvenir à un arrangement à la fin de l'année, et cela va le mettre dans une position délicate vis-à-vis de ses supporters."

Une saga loin d'être finie

Dès le mois de février, le mot "Brexit" deviendra tabou, selon une recommandation gouvernementale. La consigne prête à sourire, mais traduit la fatigue des négociateurs, comme celle des citoyens. Mais la saga qui dure depuis près de quatre ans déjà est loin d'être finie. "On ne va pas arrêter d'en parler", prévient même Jonathan Powell.

Les négociations pourraient même se poursuivre pendant quatre ou cinq ans. Là encore, l'identité du Royaume-Uni, fraîchement séparé des Vingt-Sept, est en jeu. "Boris Johnson a promis de réunir le pays. Mais il fait vraiment peu d'efforts pour y parvenir. Je pense qu'à l'avenir, le pays restera très focalisé sur l'identité et politiquement très divisé." Le diplomate dépeint une période post-Brexit sombre. "Bien sûr, la Grande-Bretagne a survécu à bien des choses dans le passé et il n'y a aucun doute que nous allons briller à nouveau. Mais nous avons besoin de dirigeants dotés d'une vision."

Jonathan Powell rappelle que Tony Blair a été le dernier chef du Labour à gagner une élection. Le parti a essuyé une défaite historique lors des législatives de décembre, au point de pousser Jeremy Corbyn à rédiger une lettre ouverte pour s'en excuser. Le dernier obstacle au Brexit était alors tombé.

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Propos recueillis par Cédric Guigon

Adaptation web: Alexia Nichele

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