Le trafic de drogues [Yami 2]
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Trafiquants de drogue, Etats, consommateurs: histoire d'une codépendance

> Le trafic de drogue est combattu à l'échelle internationale, pourtant il n'aurait jamais existé sans le soutien des appareils étatiques, affirme la série "Histoire du trafic de drogue", diffusée par la RTS et disponible ici-même.

> En trois épisodes, le documentaire explique pourquoi trafiquants, forces militaires et autorités ont été interreliés durant deux siècles. Et en quoi la politique empêche aujourd'hui encore d'éradiquer le trafic de drogue et tout ce qui en découle: les économies parallèles, les homicides, la surpopulation carcérale, les discriminations raciales, etc.

> Avec plus de 270 millions de consommateurs réguliers ou occasionnels, la drogue n'a jamais été aussi populaire dans le monde. Pour se distraire, pour fuir, pour être plus fort.

> Quelles pistes reste-t-il pour que les problèmes liés aux drogues se résolvent?

Les drogues et leur nocivité

Réalité ou fantasme?

Les drogues sont des substances psychoactives qui agissent sur le système nerveux central et modifient souvent l’état de conscience. Elles peuvent être légales (alcool, tabac), soumises à des prescriptions médicales (benzodiazépines, antalgiques) ou interdites (héroïne, ecstasy, etc).

En 2018, l'ONU répertoriait 274 substances psychoactives. Mais avec l'émergence des nouvelles substances psychoactives (NSP, substances de synthèse soi-disant légales), les autorités peinent à suivre. En 2018, 800 NSP ont été mises sur le marché (contre 130 en 2009).

Les substances psychoactives peuvent être classés en quatre grandes catégories, qui s'entrecroisent.

1) les dépresseurs (alcool, barbituriques, etc) agissent sur le système nerveux central pour réduire l'activité fonctionnelle, ainsi que la tension, notamment. Les narcotiques (opium, héroïne, etc), qui ont font partie, induisent un état proche du sommeil, provoquant un sentiment d'euphorie et atténuant les douleurs. Les dépresseurs analgésiques (codéine, méthadone, etc. ) suppriment eux seulement la sensibilité à la douleur.

2) les stimulants (cocaïne, amphétamine, ecstasy/MDMA, caféïne, etc) augmentent l'activité du système nerveux central, facilitant ou améliorant certaines fonctions de l'organisme. Ils réduisent la fatigue et favorisent un sentiment d’euphorie et de confiance en soi.

3) les hallucinogènes (THC, LSD, Kétamine, etc) entraînent des modifications sensorielles intenses. Les produits ont des structures et des modes d'action diverses. Ils n'occasionnent pas de lésions des organes et ne sont généralement pas associés à une dépendance mais peuvent provoquer d'importants troubles psychiques.

4) les neuroleptiques ou antipsychotiques (CBD, halopéridol, etc) sont des tranquilisants et réduisent certains états psychotiques. Ils peuvent avoir un effet antidélirant, antihallucinatoire, anticonfusionnel. Ils peuvent parfois être utilisés pour le sevrage. Certaines personnes y recourent pour atténuer les effets secondaires d'autres substances.

Les différents types de psychotropes. [Commission globale de politique en matière de drogues, classification de Derek Snider. - Briner, Caroline (RTS)]
Les différents types de psychotropes. [Commission globale de politique en matière de drogues, classification de Derek Snider. - Briner, Caroline (RTS)]

La dangerosité officielle des substances psychoactives a été définie par les Nations unies, à travers la Convention sur les stupéfiants de 1961 et les Conventions sur les substances psychotropes de 1971 et de 1988. Mais elle est décriée par des experts internationaux. "La science est bien peu présente dans le processus de décision et elle est peu écoutée lorsqu'elle présente ses conclusions", déplore la Commission globale de politique en matière de drogue dans son rapport annuel 2019.

A titre d'exemple, le cannabis est considéré comme une substance fortement addictive, aux propriétés particulièrement dangereuses et sans valeur thérapeutique notable par la Convention de 1961. Le tableau ci-dessous, établi par le neuropsychopharmacologue anglais David Nutt, présente une analyse plus mesurée de la nocivité du cannabis.

La dangerosité des drogues pour les individus (en violet) et pour la société (rouge). [Commission globale de politique en matière de drogues, étude de David Nutt (2010) - Briner, Caroline (RTS)]
La dangerosité des drogues pour les individus (en violet) et pour la société (rouge). [Commission globale de politique en matière de drogues, étude de David Nutt (2010) - Briner, Caroline (RTS)]

270 millions de consommateurs

A chaque pays ses usages

La prise de psychotropes existe depuis des milliers d'années mais elle n'a jamais été aussi élevée qu'aujourd'hui. Environ 271 millions de personnes, soit 5,5% de la population mondiale âgée de 15 à 64 ans, ont consommé de la drogue* durant l'année écoulée, selon une enquête de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) publiée en 2019. C'est 30% de plus qu'en 2009. Parmi elles, près de 35 millions de personnes auraient un rapport problématique avec une drogue et nécessiteraient un traitement.

Le cannabis est la drogue la plus consommée dans le monde, avec près de 190 millions de consommateurs réguliers ou occasionnels. Suivent les opïodes (53 millions d'usagers par an, dont 30 millions de consommateurs d'opiacés comme l'opium, l'héroïne ou la morphine), puis les amphétamines et les stimulants prescrits (29 millions), l'esctasy (21 millions) et la cocaïne (18 millions).

Le type de drogue consommé varie d'un pays à l'autre, voire même d'un continent à l'autre. En Suisse, le cannabis est aussi le produit le plus consommé (7,3% de la population de plus de 15 ans durant l'année écoulée), selon Addiction Suisse. Il est suivi des amphétamines (0,8%), de la cocaïne (0,7%), de l'ecstasy (0,5%) et des hallucinogènes (0,2%). La prise d'opiacés est peu courante. En revanche, la hausse de la consommation en opïodes inquiète les milieux de la santé.

Cette carte de l'UNODC permet de connaître le succès des drogues par pays (choisir la substance avec le menu déroulant en haut à droite). Comme on peut le voir, l'ecstasy est prise essentiellement en Europe et en Australie, alors que le cannabis est consommé sur tous les continents.

Issus à 85% d'Afghanistan, les opiacés connaissent un haut taux de consommateurs en Iran (3,3% de la population), en Afghanistan (2,6%) et aux Seychelles (2,3%), alors que les opioïdes synthétiques (méthadone, Tramadol, Fenatyl) connaissent un usage élevé dans quatre pays: Serbie, Etats-Unis, Australie et Nigeria (plus de 4% de la population). Produite principalement en Colombie, la cocaïne est prisée dans les pays occidentaux, en Amérique latine et en Afrique du Sud.

Ces différences régionales peuvent s'expliquer par la culture ou l'histoire. Les réglementations sur le trafic de drogue n'ont pas été élaborées en considération de ces particularismes (usages cérémoniaux, médecine traditionnelle), excepté peut-être pour l'alcool.

*L'alcool n'est pas pris en considération dans l'étude

Episode 1: les origines du trafic de drogues

XVIIIe siècle - 1970

Le trafic de drogue a toujours existé parallèlement à la vente légale de drogue. Le trafic de stupéfiants est lui apparu une fois que des drogues ont été prohibées. La première interdiction internationale concerne l'opium et remonte à 1912.

Les cartels et les mafias se sont nourris des drogues. Mais aussi les banques, les laboratoires pharmaceutiques et les partis politiques, relève le documentaire "Histoire du trafic de drogue". Le premier épisode, "L'ère des empires", décrit comment l'opium, découvert par les puissances coloniales, va passer du statut de "produit miracle" à "fléau international".

La couronne britannique vendeuse d'opium

La Grande-Bretagne est la première à avoir mis un pied dans ce gigantesque échiquier qu'est le trafic de drogue. Au XVIIIe siècle, alors qu'elle étend ses zones d'influence, la Couronne britannique veut forcer la Chine, alors autosuffisante, à ouvrir son marché économique. Pour parvenir à ses fins, elle veut rendre les Chinois dépendants à l'opium. Une partie de l'élite chinoise tombe dans le subterfuge et devient opioïnomame. En 1800, l'empereur interdit la culture du pavot. La Couronne se lance alors discrètement dans la contrebande, via des marchands privés. Ceux-ci vendent l'opium des Indes britanniques aux triades chinoises, qui s'enrichissent. Menacé, le nouvel empereur interdit alors la consommation d'opium.

Pugnace, la Grande-Bretagne déclenche une guerre de l'opium (1839-1842), suivie d'une seconde (1856-1860). La Chine perd et est contrainte de réautoriser l'opium et d'ouvrir son commerce aux puissances étrangères. Passé en mains britannique, Hong Kong devient une plaque tournante de l'opium. En 1865, une banque est fondée pour financer ce commerce: HSBC (Hong Kong and Shangai Banking Corporation). L'économie chinoise s'affaiblit, les révoltes populaires augmentent et les Chinois émigrent par milliers.

La dépendance à l'opium devient mondiale

A partir de 1882, la France entre dans l'arène. Pour financer la colonisation, l'Etat crée la Régie générale de l'opium, qui transforme la substance venue d'Inde ou de Chine en paquets prêts à fumer. L'opium s'installe si bien dans les foyers que l'opiacé va fournir jusqu'à un tiers du budget de l'Indochine. Les puissances britanniques, espagnoles ou hollandaises financeront leurs colonies asiatiques par le même modèle jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, faisant des millions de victimes malgré la pression des missionnaires.

Avec la diaspora chinoise, la pratique de l'opium se répand dans tout l'Occident, en particulier dans les couches aisées. Parallèlement se développe l'usage médical de la morphine, principal alcaloïde de l'opium découvert en 1804. Distribuée sur les champs de bataille, la morphine apaise les douleurs mais entraîne une trop forte dépendance. Pour lutter contre "la maladie du soldat", les industries pharmaceutiques développent alors la cocaïne.

Cocaïne et héroïne, les remèdes miracle

Vendue librement en pharmacie sous diverses formes, la cocaïne est fortement prisée dans la deuxième moitié du XIXe siècle, en particulier dans la haute société.

En 1898, les laboratoires Bayer proposent une alternative révolutionnaire à l'opium et à la morphine, "recommandée pour soigner la toux des nourrissons": l'héroïne.

La prohibition et la création du narcotrafic

Face aux problèmes d'addictions, le XXe siècle connaît un véritable volte-face. Les Etats-Unis entame une période de prohibition en 1909, tandis que la Chine, qui déplore 13 millions d'opioïnomanes, interdit à nouveau l'opium. A partir de 1914, les psychotropes ne sont délivrés plus que sur ordonnance. L'alcool est interdit dès 1919. Les personnes dépendantes n'ont plus qu'à se tourner vers le marché noir.

Pour faire face à la demande, les réseaux criminels se lancent dans le raffinage. Une entreprise familiale ouvre le premier laboratoire clandestin au Mexique, où était cultivé le pavot pour les pharmas américaines.

Les premiers arrangements entre amis

La prohibition atteint le Vieux continent. Marseille devient un centre de contrebande international, avec l'aval des autorités locales. Portée par Paul Carbone, la filière corse transforme l'opium d'Orient en héroïne avant de le transférer aux Etats-Unis.

En 1927, la Chine devient le premier narco-Etat. Le chef d'une triade est nommé général par Tchang Kaï-chek, qui dirige alors l'un des trois gouvernements chinois. Du Yuesheng est chargé de l'"éradication de la consommation d'opium". En réalité, il partage les profits du commerce de l'opium entre son gang (la Bande Verte) et le parti au pouvoir (le Kuomintang). Son laboratoire d'héroïne se trouve au coeur de Shanghai. Il reste au pouvoir lorsque Tchang Kaï-chek devient président de toute la Chine.

Aux Etats-Unis, la mafia italienne supplante les mafias juives et irlandaises, grâce aux méthodes d'Al Capone, qui allient violences et corruption. En 1933, l'alcool est à nouveau autorisé. Déstabilisée, la mafia italienne, portée désormais par Lucky Luciano, s'allie avec le chef de bande juif, Meyer Lansky, pour ouvrir un trafic d'héroïne. Face à cette complexification du trafic, un certain Harry Anslinger jette les bases de la lutte anti-drogue en mêlant grandes enquêtes, coopération internationale et films de propagande.

Le trafic international s'intensifie

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Américains sont implantés en Sicile. Se méfiant tant des fascistes que des communistes, ils installent des mafieux aux mairies de l'île puis rapatrient des gangsters, tels que Lucky Luciano. Ce dernier fonde la French connection avec la filière corse, elle-même affiliée à l'Etat français qui vend en cachette l'opium des Hmongs du Laos pour financer le conflit en Indochine (Opération X). Elle sera active jusque dans les années 1970.

A partir de 1955, la Chine est communiste, les triades ont fui à Hong Kong et les cultures de pavot ont à nouveau disparu. La production d'opium est reprise par les dissidents chinois du Kuomintang, installés en Birmanie, en Thaïlande et au Laos, donnant naissance au Triangle d'Or. Ces militaires ont le soutien des Etats-Unis, qui estiment que le communisme constitue une plus grande menace que le trafic de drogue. Mais ce même opium s'implante aux Etats-Unis. Dès les années 1960, l'héroïne est prisée chez les jeunes qui défendent la contre-culture. Et chez les soldats envoyés au Vietnam. En 1971, le président Nixon clame: "l'ennemi public numéro un des Etats-Unis est la toxicomanie".

Episode 2: les barons, ces trafiquants avides de pouvoir

1970 - 1990

En 1971, les Etats-Unis lancent une guerre massive contre les drogues, alignant les arrestations et les saisies. Les soldats de retour du Vietnam sont testés et sevrés. La France, premier producteur mondial d’héroïne, est devenue la cible prioritaire de Washington. En raison des premiers décès par overdose, le président Pompidou amorce un grand nettoyage. En cinq ans, grâce à l'aide américaine, la French connection est démantelée et 3000 trafiquants sont arrêtés.

Mais la demande en drogue continue d'augmenter. Une nouvelle génération de trafiquants apparaît: les "barons de la drogue", comme l'explique le 2e épisode:

L'heure des barons 2/3

Au Mexique, les paysans qui cultivent le pavot et le cannabis depuis 50 ans lancent le mouvement. Malgré la répression mexicano-américaine, Félix Gallardo fonde le premier grand cartel mexicain à Guadalajara. Il détient la quasi-totalité du marché de l’héroïne et de la marijuana. Ancien policier et fin connaisseur de la politique, il intègre une banque mexicaine, parvient à blanchir son argent et devient un businessman respecté.

En Sicile, quelques mafieux de la Cosa Nostra récupèrent les chimistes de la French connection, font venir l'opium du Moyen-Orient et distribuent la drogue aux Etats-Unis via des pizzerias. La "pizza connection" est née. Les parrains de Palerme font fortune.

La coca péruvienne et bolivienne refait surface et rejoint Wall Street, où elle est considérée comme non addictive. En Colombie, vaste territoire de jungle et de montagnes qui échappe au contrôle de l’État, les trafiquants se développent pour faire les intermédiaires. Avec son cartel de Medellin, Pablo Escobar industrialise le trafic. En 1979, le président Jimmy Carter impose à la Colombie un traité visant à extrader tout trafiquant vers les Etats-Unis. Mais Pablo Escobar paie si bien le monde politique colombien que le traité est suspendu et qu'il devient député suppléant au Congrès.

Désormais entourée de pays communistes, la Thaïlande prend peur et demande à une armée privée de protéger ses frontières. Cette armée est dirigée par Khun Sa, un jeune chef de guerre qui défend la minorité Shan du pouvoir birman, au coeur du Triangle d'Or. Khun Sa a désormais carte blanche pour faire circuler ses caravanes d’opium et gérer son laboratoire d'héroïne. A la fin des années 1970, ne parvenant à faire fléchir ni la Thaïlande, ni Khun Sa, les Etats-Unis arment la Birmanie.

Les grandes enquêtes italo-américaines

Aux débuts des années 1980, le chef de guerre Khun Sa s'installe dans sa terre natale, l'Etat birman du Shan. Son héroïne, pure et bon marché, inonde la planète. La dictature birmane laisse faire. Les Etats-Unis déplorent 10 millions de cocaïnomanes et 400'000 héroïnomanes.

En Italie, les méthodes sanguinaires du parrain des parrains Toto Riina (plus de 2000 personnes tuées sous son règne) provoquent l'effroi. C'est dans ce contexte que le juge italien Falcone entre en scène, en lançant plus de 20'000 investigations bancaires avec l'aide américaine. L'approche est inédite, les criminels ne se doutent de rien. Des laboratoires sont démantelés, des dizaines de petits mafieux sont arrêtés, mais les dirigeants de Cosa Nostra tiennent le choc. Jusqu'au coup de théâtre en 1983: le parrain Tommaso Buscetta est arrêté au Brésil. Sa famille ayant été abattue, le mafieux brise l'omerta. Les enquêtes italo-américaines s'accélèrent et découchent sur le maxi-procès de Palerme (360 condamnations en 1987) et celui de la Pizza Connection (1985 à 1987), favorisé par l'enquête de Joseph Pistone, infiltré de 1976 à 1981 sous le nom de Donnie Brasco. Le coup de grâce intervient en 1993, avec l'arrestation de Toto Riina (et près de 1000 autres criminels) suite à l'attentat contre le juge Falcone.

De la chute des cartels colombiens à la montée en puissance mexicaine

En 1982, sous les ordres du président Reagan, les Etats-Unis s'en prennent aux trafiquants colombiens, en menant une puissante opération en Floride. Déstabilisé, Pablo Escobar s'allie avec les trafiquants mexicains. Le cartel de Guadalajara devient tout puissant. Et cela avec la bénédiction du parti unique mexicain, le PRI, qui rackette toutes les activités économiques. Le Mexique est un narco-Etat. En 1985, la disparition d'un agent de la DEA américaine entraîne une gigantesque enquête. Le parrain Félix Gallardo est finalement abandonné par Mexico en 1989 et condamné à 40 ans de prison. Son cartel cède la place à des dizaines de petits cartels.

En Colombie, les autorités lâchent Pablo Escobar en 1984 déjà. Le nouveau ministre de la Justice, Rodrigo Lara, démontre qu'il est un narco-trafiquant et détruit ses laboratoires. Le politicien est abattu mais le gouvernement tient bon et ratifie l'accord d'extradition avec les Etats-Unis. Pablo Escobar se retranche à Medellin, lève une armée de 2000 adolescents puis fait brûler le Palais de justice avec les preuves de sa culpabilité. En 1989, les Etats-Unis font tomber le dictateur corrompu du Panama Manuel Noriega et menacent de faire de même avec Pablo Escobar. Terrorisé, le trafiquant aligne les attentats en Colombie. Les autorités colombiennes étouffent et trouvent alors un accord avec lui: son arrestation contre le traité d'extradition. Le narcotrafiquant gère ses affaires depuis la prison pendant un an puis s'enfuit. Obsédée par Pablo Escobar, la police colombienne se lie avec Washington, des paramilitaires et d'autres cartels pour en venir à bout. Le plus célèbre trafiquant de cocaïne au monde trouve la mort en 1993, lors d'un siège.

A l'autre bout du globe, en Asie, en 1993, le producteur d'opium Khun Sa déclare l'indépendance du Shan. Un conflit éclate avec la junte birmane. Le Roi de l'opium finit par se rendre trois ans plus tard.

Episode 3: des cartels aux petits groupes invisibles

1990 - aujourd'hui

A partir des années 1990, la production de drogue se concentre dans des zones de non-droit; en Colombie (cocaïne) et en Afghanistan (pavot). Les trafiquants sont éparpillés en réseaux. Les drogues de synthèse sont faciles à fabriquer et à dissimuler. L’invisibilité est la nouvelle arme.

Partout, le bilan de la guerre contre les drogues n’est qu'un décompte macabre, constate le 3e épisode "Les territoires perdus":

Les territoires perdus 3/3

En 1994, les Etats-Unis, le Canada et le Mexique inaugurent la plus vaste zone de libre-échange au monde. Les cartels mexicains, plantés sur 3000 kilomètres de frontières, se frottent les mains. Le PRI, le parti unique mexicain, aussi. En Colombie, d'où est issue la cocaïne, les arrestations se multiplient. Les narco-trafiquants colombiens doivent céder la distribution aux Mexicains tout en ayant désormais des concurrents dans la production: les paramilitaires et les guérillas, dont les FARC. En 1997, les paramilitaires s'unissent pour créer une armée de 20'000 hommes, l'Autodéfense unie de Colombie (AUC) et les FARC poursuivent leur progression. Craignant avant tout les guérillas, les autorités s'allient aux paramilitaires, qui s'accaparent des terres avec une violence extrême. Le pouvoir des paramilitaires augmente encore en 2002, lorsque plus d'un tiers des parlementaires sont leurs sympathisants. Les Etats-Unis apportent leur pierre à l'édifice, avec une manne de 4 milliards de dollars en cinq ans. La stratégie opère et les FARC s'essouflent. En 2006, Washington se retourne contre les paramilitaires, mais avec douceur: il leur somme de cesser le trafic, en échange d'une amnistie, qui laisse quelque 100'000 homicides impunis. Seuls les politiciens seront jugés pour corruption.

En Afghanistan, la culture du pavot prend de l'ampleur. Elle finance l'armement des tribus, qui luttent d'abord contre les Soviétiques puis entre elles. Attirés par le succès de ce commerce, les talibans s'y lancent à leur tour et parviennent à conquérir Kaboul en 1996. Le pays est alors mis au ban des Nations. Pour subvenir à ses besoins, l'Afghanistan devient le premier producteur d'héroïne. Mais la méthode reste insuffisante pour nourrir la population. En 2000, les talibans interdisent le pavot dans l'espoir que l'ONU reconnaisse leur autorité. En vain. Puis, en raison des attentats du 11 septembre 2001, les Américains envahissent le pays, les talibans se retranchent et... relancent la culture du pavot. En 2004, le président Hamid Karzai promet aux Américains de s'attaquer à l'opium. Mais la plupart de ses alliés en vivent et partent rejoindre l'opposition des talibans.

En 2000, un séisme politique intervient au Mexique: le parti unique PRI cède la présidence à un outsider, Vicente Fox, qui part en croisade contre la corruption. Les cartels, qui n'ont plus le PRI pour arbitre, entrent dans une guerre violente, dont la surenchère semble être le maître mot. Le cartel du Golfe forme une armée avec les soldats d'élite de l'armée mexicaine, les Zetas. En 2006, Felipe Calderon prend la présidence. Du même parti que son prédécesseur, il militarise la lutte contre le trafic de drogue et tente de venir à bout des Zetas. Ceux-ci implosent en une multitude de groupes, dont l'unique but est de semer la terreur. A l'autre bout du pays, le cartel de Sinaloa, dirigé par El Chapo, prospère. La politique de Felipe Calderon est qualifiée de catastrophique: les homicides ont augmenté de 150% durant sa présidence et El Chapo est devenu milliardaire. En 2015, ce dernier se fait arrêter, mais contre toutes attentes, la situation s'empire: le nombre micro-organisations criminelles augmente et la violence aussi. Plus de 40'000 personnes disparaissent en 10 ans.

>> Lire aussi : Du Mexique au Tessin, les tentacules de la mafia

En Chine, des organisations criminelles ont arraché à l'industrie pharmaceutique le secret du Fentanyl, un opïode synthétique 100 fois plus puissant que l'héroïne et moins cher. Le produit est principalement destiné aux Etats-Unis, où la sur-prescription d’antidouleurs a rendu des centaines de milliers de patients accros aux opiacés, même lorsque le traitement est terminé. En 2017, le président Donald Trump déclare l'état d'urgence sanitaire, alors que les opioïdes ont fait 47'600 morts, dont 30'000 avec le Fentanyl.

Et maintenant?

L'appel des scientifiques

Comment venir à bout du trafic de drogue et des problèmes criminels, sociétaux et sanitaires qui en découlent? Pour le Consortium international sur les politiques en matière de drogues, l'approche idéologique de l'ONU est inefficace. Il faut mettre fin à la guerre contre la drogue. "Il n'y a pas un seul cas où l'éradiction a poussé un groupe armé à la faillite. Quand les gens n'ont rien à manger, ils se mobilisent. L'Etat gagne quand il arrête d'éradiquer", estime Vanda Felbab-Brown, experte américaine du crime organisé interrogée dans le documentaire. Mais à l'ONU, deux blocs s'affrontent: ceux de la tolérance zéro et ceux contre la stigmatisation.

>> Lire aussi : Une conférence de l'ONU pour définir une stratégie contre la drogue, Au Mexique, "l'arrestation d'El Chapo Guzman n'a servi à rien" et Aux Philippines, la guerre contre la drogue tourne au carnage

Créée en 2011, la Commission globale de politique en matière de drogue a pour mission de dessiner des réformes. Pour elle, le problème principal se trouve dans les choix politiques, et non dans les drogues elles-mêmes. Premièrement, la commission demande la fin d'une prohibition "arbitraire" et appelle à revoir la distinction entre substances légales et illégales, qui "est le fruit d'une longue histoire de domination culturelle et politique". Pour la commission, "les Etats doivent établir des règles et une nomenclature adaptée à la dangerosité de chaque drogue", qui doit elle-même se baser sur des évaluations scientifiques. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) et la recherche interdisciplinaire doivent jouer un rôle de premier plan, martèle-t-elle. Deuxièmement, la commission appelle à cesser de percevoir le plaisir que suscite une drogue "comme une preuve d'abus potentiel". Déplorant une morale basée autour du bien et du mal, elle demande à accepter des usages non-médicaux et raisonnables. Dans ce sens, elle milite pour une meilleure prévention et pour une mise à disposition de substances contrôlées.

Ex-présidente de la Confédération, Ruth Dreiffuss est actuellement présidente de la commission. Interrogée par Histoire vivante, elle témoigne ci-dessous du succès de la politique des quatre piliers (prévention, thérapie, consommation contrôlée et répression) mise en place dans les années 1990 en Suisse.

Ruth Dreifuss, présidente de la Commission globale de politique en matière de drogues. [RTS - Anne Kearney]RTS - Anne Kearney
Drogue, conquête et guerres (2/5) / Histoire Vivante / 29 min. / le 11 février 2020

>> Voir le débat d'Infrarouge : Drogue: fini les fantasmes?

Crédits

Article et réalisation web: Caroline Briner

"Histoire du trafic de drogue"

Proposé par Les documentaires de la RTS - Steven Artels

Histoire Vivante- Frédéric Pfyffer et Jean Leclerc

Réalisation: Christophe Bouquet et Julie Lerat

Février 2020