La démission du gouvernement Medvedev au mois de janvier n'était qu'un avant-goût. La nomination d'un nouveau Premier ministre et l'annonce dans la foulée d'une réforme de la Constitution n'ont fait que le confirmer: Poutine prépare déjà l'après-Poutine.
"Il y a eu beaucoup de spéculations", note d'emblée Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie-NEI à l'IFRI, invitée dans Géopolitis. "Néanmoins, il y a un scénario qui semble être exclu: Vladimir Poutine ne se représentera pas au poste présidentiel. Mais il prépare plusieurs options pour pouvoir rester au pouvoir d'une manière ou d'une autre". Pas dans le fauteuil du président, mais toujours à la manœuvre. Noursoultan Nazarbaïev au Kazakhstan lui a peut-être fourni le modèle: le Père de la Nation s'est retiré en mars dernier des plus hautes fonctions officielles mais conserve la haute main sur les affaires de son pays et notamment sur les organes de sécurité.
Vladimir Poutine tente un rééquilibrage entre les différents centres du pouvoir.
20 ans au pouvoir
L'ex-agent du KGB Vladimir Vladimirovitch Poutine a été officiellement élu président de la Fédération de Russie le 26 mars 2000. Il s'engage alors à remettre le pays debout après une décennie de chaos post-soviétique. Depuis 20 ans au pouvoir, dont quatre années dans le fauteuil de Premier ministre, Vladimir Poutine surpasse déjà la longévité au Kremlin de Leonid Brejnev et s'approche des 30 ans de règne de Joseph Staline.
"Pour assurer non seulement sa propre position après 2024, mais aussi la stabilité du système, Vladimir Poutine tente un rééquilibrage entre les différents centres du pouvoir", poursuit Tatiana Kastouéva-Jean. Le chef d'Etat a annoncé une vaste réforme constitutionnelle, notamment le renforcement du rôle du Parlement et l'élargissement des compétences du Conseil d'Etat qui jusqu'ici n'endossait qu'un rôle purement consultatif. Ce Conseil d'Etat renforcé pourrait ainsi se muer en une sorte de Politburo de l'époque soviétique. Vladimir Poutine placé à la tête de cet organe conserverait la main sur son pays.
Consultation nationale
Cette nouvelle architecture du pouvoir sera soumise à un vote national. "Ce vote qui va intervenir le 12 avril ne sera qu'une validation a posteriori des choix qui ont déjà été faits… par le président", souligne l'experte de l'IFRI. "C'est également un peu le sens des élections en Russie. Le vote de la population valide le choix qui a été fait ailleurs."
Après 20 ans, le président conserve une grande popularité auprès d'une partie de la population. En 2018, il est réélu avec 76% des voix. "Il est populaire aussi parce que pendant 20 ans, tout a été fait pour qu'il n'y ait pas de concurrents, pour qu'il n'y ait pas d'autres personnalités qui émergent et qui pourraient faire de l'ombre à Vladimir Poutine", souligne Tatiana Kastouéva-Jean. "Par ailleurs, les Russes ont très peur de la déstabilisation, de revenir à la situation des années 1990. Ils se sont habitués à Poutine, ils savent à quoi s'attendre. Ils ne croient pas qu'un autre leader pourra changer le système ou combattre la corruption. Donc ils privilégient ce scénario de stabilité."
La Russie subit une croissance anémique depuis plusieurs années et s'est engagée dans tout une série de réformes très impopulaires notamment sur le front des retraites. "La population n'est plus du tout sous l'effet de l'enthousiasme suscité par l'annexion de la Crimée, elle souhaite que le président se consacre aux problèmes intérieurs", conclut l'experte.
Mélanie Ohayon
Stratégies d’influence
Après un premier mandat concentré sur les questions intérieures et la guerre en Tchétchénie, Vladimir Poutine s'est progressivement imposé en figure incontournable sur la scène internationale, notamment au Moyen-Orient et en Afrique. "Dès le deuxième mandat, il regarde ce qu'il se passe à l'extérieur et ce qu'il voit ne lui plaît pas", explique Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie-NEI à l'IFRI. "Il voit l'OTAN qui avance. Il pense que c'est une force hostile qui vise la Russie. Il voit un monde sous la domination américaine. Et il tente de s'opposer à cette évolution."
Aujourd'hui en Syrie, Moscou joue les arbitres du conflit, alors que les Occidentaux s'effacent peu à peu. En Libye, plusieurs centaines de mercenaires russes se battent aux côtés du maréchal Haftar. Vladimir Poutine parle avec tout le monde et peut s'afficher autant avec l'Iranien Rohani qu'avec l'Israélien Netanyahu, le prince d'Arabie saoudite et l'émir du Qatar. Sa stratégie: éviter les sujets qui fâchent et se concentrer sur les intérêts communs.
En Syrie, "la Russie ne voulait pas la répétition d'un scénario de révolution qu'elle estime être manigancé par l'Occident", poursuit Tatiana Kastouéva-Jean. Et d'ajouter: "La vidéo de la mort de Kadhafi a semble-t-il beaucoup choqué Vladimir Poutine à titre personnel. S'il est intervenu en Syrie, c'est aussi pour prévenir ce type de scénario."
Des mercenaires pour les "sales besognes"
Le Groupe Wagner est une société paramilitaire fondée en 2014, financée par l'oligarque russe Evgueni Prigojine. "La société Wagner semble être l'une des sociétés privées, des mercenaires au service de la Russie engagés sur les théâtres extérieurs, en Syrie, désormais en Libye et ailleurs en Afrique", souligne Tatiana Kastouéva-Jean. "Je dis semble, parce qu'évidemment, officiellement, les chose sont niées. Et surtout la loi russe interdit l'existence de ce genre de compagnies privées de mercenariat."
"Le patron, Evgueni Prigojine, semble être l'homme à tout faire qui remplit quelques tâches parfois peu avouables", ajoute l'experte de l'IFRI. "Il dirigerait d'autre part une fabrique de trolls sur internet qui participe à la guerre d'information et à la propagande du pouvoir."