"Le jour où Mandela a été libéré, nous savions tous que l'apartheid était mort", a lancé Cyril Ramaphosa devant un millier de personnes, dont des écoliers, réunies devant la mairie du Cap (sud-ouest), la capitale parlementaire.
"Il y avait de la magie dans l'air", s'est-il rappelé depuis le balcon de la mairie, là-même où Nelson Mandela, le héros de la lutte contre l'apartheid, s'était exprimé trente ans plus tôt, devant une place pleine à craquer. "C'était un moment grisant."
Ce 11 février 1990, Ramaphosa, âgé de 37 ans, la barbe fournie, se tenait aux côtés de l'ex-prisonnier le plus connu au monde.
"Je tenais le micro alors qu'il s'exprimait pour la première fois" depuis sa libération, s'est souvenu mardi le président Ramaphosa, debout à côté d'une immense statue de Mandela. "Rien ne pouvait décrire cette brève seconde quand le micro a crépité", a-t-il ajouté.
"Sabotage et complot contre l'Etat"
Quelques heures plus tôt, Nelson Mandela avait recouvré la liberté. Il était sorti libre de la prison de Victor Verster à Paarl (sud-ouest), main dans la main avec son épouse Winnie Mandela, autre grande figure de la lutte contre le régime raciste.
Il venait de passer vingt-sept ans derrière les barreaux, notamment sur l'île bagne de Robben Island, après avoir été condamné en 1964 à la prison à perpétuité pour sabotage et complot contre l'Etat.
Sa libération était intervenue quelques jours après la levée de l'interdiction de son parti, le Congrès national africain (ANC), par le président blanc de l'époque F.W. de Klerk.
"Les gens dans le monde entier avaient les yeux remplis de larmes et c'était des larmes de joie" après des décennies d'un régime raciste dominé par la minorité blanche, s'est souvenu Cyril Ramaphosa mardi.
"On se rappellera de ce jour comme l'un des jours les plus mémorables de l'histoire mondiale."
A l'époque, des "prophètes mal intentionnés avaient prédit qu'il serait impossible pour l'Afrique du Sud de se relever", alors que le pays était sur le point de basculer dans la guerre civile, a souligné le président Ramaphosa.
Le premier président noir de l'Afrique du Sud
Finalement trois ans plus tard, Nelson Mandela décrochait le prix Nobel de la paix avec F. W. de Klerk, et, en 1994, devenait le premier président noir de l'Afrique du Sud démocratique. Il est mort en 2013, à l'âge de 95 ans.
"On ne réalise pas la souffrance qu'ont endurée nos parents pour notre liberté", a estimé mardi un écolier, Panashe Sizingwe, tout ouïe devant Cyril Ramaphosa. "On est tellement reconnaissants" à Nelson Mandela, a ajouté Mbuyi Nase, adolescent au moment de la libération du héros de la lutte contre l'apartheid. "Il y avait une telle euphorie dans mon township".
Des inégalités toujours très présentes
"Mais on est loin de l'objectif" fixé par le père de la nation arc-en-ciel, a souligné un autre Sud-Africain, Lebona Motlatla. "Par liberté pour tous, Mandela entendait que tout le monde ait du travail et à manger."
Avec la fin de l'apartheid, l'Afrique du Sud, longtemps paria, devait réintégrer le concert des nations et renouer avec les bénéfices de l'intégration à l'économie mondiale.
Le chômage continue pourtant de gangréner la première puissance industrielle du continent africain et frappe actuellement 29,1% de sa population active, contre 20% en 1994.
Le pays se débat également avec d'énormes inégalités entre riches et pauvres, la corruption et un fort taux de criminalité.
Des échecs que Cyril Ramaphosa a relevés mardi: "L'état de l'économie, le fort taux de chômage, les ravages sociaux dans nos communautés, les meurtres honteux de femmes et de filles, l'odeur nauséabonde de la corruption (...) menacent de nous faire perdre les gains acquis" depuis l'avènement de la démocratie en 1994, a souligné le chef de l'Etat, qui a succédé en 2018 à Jacob Zuma, dont la présidence a été gangrénée par la corruption.
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afp/sjaq
"Free Nelson Mandela": le pouvoir de la musique
Sortie en mars 1984, la chanson "Free Nelson Mandela" – souvent uniquement appelée "Nelson Mandela" – est l'un des titres protestataires considéré comme des plus influents: son succès a contribué à faire connaître Nelson Mandela et à alerter le monde sur le régime d'apartheid de l'Afrique du Sud.
>> Regarder le clip "Nelson Mandela" de "The Specials":
Le tube, interprété par le groupe de ska britannique multiracial "The Special A.K.A.", est composé par son claviériste Jerry Dammers. La mélodie est légère, enlevée, mais les paroles sont sans équivoque: "Libérez Nelson Mandela – Vingt-et-un-an en captivité (...) son corps maltraité mais son esprit toujours libre – Êtes-vous aveugles et ne pouvez-vous pas voir qu'il faut libérer Nelson Mandela (...) Il a défendu les causes de l'ANC – Juste un homme dans une grande armée".
En Afrique du Sud, l'ANC diffuse la chanson clandestinement dans des stades de football, grâce à des hauts-parleurs cachés dans la foule. Même dans sa cellule de Poollsmoor, Madiba – surnom affectueux de Nelson Mandela – en entend parler et le note dans son calendrier sous la date du 15 mars 1984.
Wembley, 1988
Le 11 juin 1988, Jerry Dammers organise un concert géant pour le 70e anniversaire de Nelson Mandela dans le stade de Wembley. A l'époque, le gouvernement de Margaret Thatcher soutien le pouvoir ségrégationniste de Peter W. Botha: l'ANC est considérée comme une organisation terroriste.
Le concert rassemble 72'000 personnes pour onze heures de musique. Sa diffusion est télévisée dans soixante pays et de nombreuses stars y participent: Sting, Whoopi Goldberg, Peter Gabriel, George Michael, Youssou N'Dour, Stevie Wonder, Eurythmics, Dire Straits, Eric Clapton, Bryan Adams, Whitney Houston, Tracy Chapman et les Simple Minds... ces derniers composent une chanson pour l'événement: "Mandela Day".
>> Regarder Simple Minds interpréter "Mandela Day" en 1990:
Le concert du 11 juin 1988 à Wembley est l'un des sommets de la vague du rock humanitaire et a aidé à la prise de conscience du grand public.
La paix grâce à la musique
Neuf ans plus tard, Johnny Clegg, autre artiste grand pourfendeur de l'apartheid, sera surpris sur scène à Francfort, en 1997, par Nelson Mandela lui-même alors qu'il interprète son titre "Asimbonanga", titre qui parle du leader noir.
>> Regarder Johnny Clegg et Nelson Mandela sur scène en 1997:
Madiba reçoit le micro des mains de celui qui fut surnommé "le zoulou blanc" et dit: "C'est la musique et la danse qui me mettent en paix avec le monde. Et en paix avec moi-même".
Stéphanie Jaquet