La loi dite "muselière", comme la surnomme l'opposition, est l'aboutissement d'intimidations entreprises par le parti Droit et Justice (PiS) contre les juges. Depuis 2015, le parti du président Andrzej Duda a pris le contrôle de presque toutes les institutions judiciaires à travers des réformes: tribunal constitutionnel, présidence des cours, conseil de la magistrature et chambres disciplinaires.
Levée de boucliers
Parmi les changements orchestrés, le pouvoir a notamment abaissé l'âge de la retraite des juges de la Cour suprême polonaise, des hommes de loi qui avaient pris leurs fonctions avant la chute du communisme et qui étaient accusés par l'exécutif actuel de pervertir le système.
Cette révision de la justice a suscité de nombreuses critiques de l'opposition et une levée de boucliers des magistrats eux-mêmes, qui étaient peu enclins à l'idée de laisser le gouvernement contrôler leur profession. Pour riposter, ils ont saisi la CJUE pour qu'elle statue sur la légalité de ces changements constitutionnels.
En réponse, le gouvernement polonais a répliqué avec la promulgation de cette fameuse loi qui prévoit la réduction des salaires, la suspension et même la révocation des juges considérés comme trop critiques envers ces réformes.
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"Cette réforme ? Pour dresser les juges insoumis"
Ewa Maciejewska est juge avec son mari Rafal depuis 20 ans dans un tribunal de la ville de Lodz, au coeur de la Pologne. Elle fait partie des magistrats qui ont demandé à la CJUE d'analyser si les réformes étaient contraires ou non au droit communautaire. Pour cela, elle est accusée "d'excès judiciaire" et risque d'être révoquée.
"Cette réforme du système judiciaire n'est pas un moyen de punir les moutons noirs, mais elle sert à domestiquer et dresser les juges qui ne sont pas encore soumis au pouvoir", estime Ewa Maciejewski.
Il y a deux ans, le président du tribunal où travaille le couple a été révoqué du jour au lendemain et remplacé par un juge sans expérience, expliquent-ils.
"J'ai écrit un article dans lequel j'ai montré que le nouveau président du tribunal ne faisait que désorganiser notre travail. Il a confié beaucoup d'affaires à des personnes sans expériences, sans compétences. Suite à ce papier, je suis sous le coup d'une procédure disciplinaire", explique Rafal Maciejewski, qui avec sa femme s'accordent toutefois sur la nécessité de réformer les tribunaux pour les rendre plus efficaces, "mais pas avec les méthodes du PiS".
Discours nationaliste
Député et porte-parole adjoint du PiS, Radoslaw Fogiel indique que son parti accepte et respecte les jugements de la Cour européenne: "Mais en Pologne, la loi supérieure, suprême, est la Constitution polonaise. Celle-ci dit que le droit de nommer des juges incombe seulement au président. Cela ne peut pas être questionné, ni lui être retiré. Nous n'acceptons pas que quelqu'un impose quelque chose à la Pologne. Point final".
Sauf quand l'indépendance de la justice est menacée. Un précepte inscrit dans la Charte des Droits fondamentaux qui s'impose à la Pologne. "Beaucoup de lois votées depuis quatre ans démantèlent le système de l'Etat de droit en Pologne. Cette loi muselière n'est pas en accord avec la Constitution polonaise, ni avec la loi européenne", estime de son côté Michal Wawrykiewicz, avocat et membre de l'initiative "Wolne Sady" (tribunaux libres).
Des sanctions conséquentes
A l'heure actuelle, seul un juge a été suspendu par la chambre disciplinaire polonaise, avec une retenue sur salaire de 40%.
Selon certains médias, la Cour de justice européenne pourrait sanctionner la Pologne de deux millions d'euros par jour si elle ne stoppe pas ses actions envers les juges. La CJUE pourrait même envisager de couper les fonds européens aux pays qui ne respectent pas l'Etat de droit. Un coup qui serait dur pour la Pologne qui a reçu plus de 170 milliards d'euros de l'Union européenne depuis son adhésion en 2004.
Fany Boucaud
Adaptation web: Jérémie Favre
Une relation tendue
Depuis cinq ans et le retour au pouvoir du parti eurosceptique Droit et Justice, les relations entre la Pologne et l'Union européenne sont marquées par une forte crispation. Dès le début du mandat, le PiS a été critiqué pour son ingérence dans le domaine de la justice. Fin 2015, il a refusé la nomination de cinq membres du Tribunal constitutionnel, qu'il a remplacés par des personnalités alignées politiquement.
La Commission européenne a lancé trois procédures d'infraction contre Varsovie, concernant la réforme des tribunaux ordinaires, de la Cour suprême et les mesures disciplinaires évoquées ci-dessus.
En visite officielle en Pologne la semaine passée, le président français Emmanuel Macron a rappelé avec force le message européen sur la séparation des pouvoirs: "L'Europe est un bloc de valeurs, de textes et d'ambitions" que la Pologne, comme la France, a choisi souverainement.
"La Pologne est un pays profondément divisé, analyse Jacques Rupnik, spécialiste de l'Europe et directeur de recherche à Science Po. Une grande partie de la société polonaise a une attente très forte vis-à-vis de l'Europe pour faire contre-poids par rapport à ce que fait le gouvernement en place qui essaie de passer en force avec sa majorité au Parlement".
Ecouter le sujet de Patrick Chaboudez dans Tout un monde sur les relations entre l'UE et la Pologne: