Des milliers de personnes se sont rassemblées jeudi soir contre la haine dans une cinquantaine de villes allemandes, dont Hanau, où la réunion s'est tenue en présence du président Frank-Walter Steinmeier.
Mais au-delà du recueillement, la presse allemande se fait l'écho vendredi de la colère des Allemands et de nouvelles exigences pour lutter contre ce genre de crime. Pour le Bild, il ne suffit pas d'accuser la haine, le gouvernement doit agir et déployer davantage de moyens pour surveiller l'extrême droite. Le Tagesspiegel va dans le même sens, estimant que le problème est désormais politique et qu'il est temps de le voir, car le racisme se manifeste toujours plus ouvertement dans la société allemande.
A l'image du Spiegel, beaucoup pensent aussi que si le tireur était psychiquement malade, sa haine cherchait une cible et c'est AfD, le parti nationaliste allemand, qui la lui a livrée. Certains partis, comme le SPD et les libéraux de FDP, exigent ainsi que l'AfD soit surveillée avec plus d'attention par les renseignements allemands. Quant à l'AfD elle-même, elle dénonce l'instrumentalisation de ces fusillades contre elle.
Plusieurs étrangers tués dans les fusillades
"Le racisme est un poison", a tonné la chancelière allemande après la croisade meurtrière de l'assaillant, un Allemand de 43 ans retrouvé sans vie à son domicile avec le corps de sa mère. Sur les neuf victimes dans les fusillades dans deux bars de Hanau, cinq étaient de nationalité turque. Un Bosnien et un Bulgare ont aussi trouvé la mort.
Dans une vidéo et un manifeste de 24 pages, l'auteur présumé appelle à "anéantir" la population d'au moins 24 pays, parmi lesquelles celles du Maghreb, du Moyen-Orient, d'Israël ou encore d'Asie du Sud, avançant des thèses racialistes tout en assurant être surveillé depuis l'enfance par une "organisation secrète".
25 morts en cinq ans pour des motifs d'extrême droite
La montée de l'extrémisme de droite et des violences qu'il engendre inquiète de plus en plus outre-Rhin. Selon un décompte de SRF, 25 personnes ont été tuées en Allemagne ces cinq dernières années par des individus aux motivations d'extrême droite, que ce soit des étrangers, des musulmans, des opposants politiques ou des représentants de l'Etat.
Au total, plus de 12'700 extrémistes de droite jugés "dangereux" sont recensés par les autorités allemandes. Vendredi, ce sont 12 membres d'un groupuscule d'extrême droite qui ont été arrêtés, soupçonnés d'avoir planifié des attaques de grande ampleur contre des mosquées.
"Politiquement, personne ne peut nier que 75 ans après la dictature nazie, le terrorisme d'extrême droite est de retour", a dénoncé le vice-chancelier Olaf Scholz. "Nous devons défendre notre démocratie libérale."
De nouvelles mesures promises
"Nous nous opposons avec force et détermination à tous ceux qui tentent de diviser l'Allemagne", a encore déclaré Angela Merkel, insistant sur "les droits et la dignité de chaque personne dans notre pays", sans distinction "d'origine ou de religion".
Dès vendredi, le ministre de l'Intérieur Horst Seehofer a annoncé que la présence policière avait été renforcée dans les lieux sensibles et notamment devant les mosquées.
"Nous espérons que les autorités allemandes feront tout leur possible pour faire la lumière sur cette affaire. Le racisme est un cancer généralisé", a de son côté écrit sur Twitter le porte-parole de la présidence turque. L'association Ditib, principale organisation de la communauté turque musulmane d'Allemagne, a elle réclamé plus de protection pour ses fidèles.
Frédéric Boillat avec afp
"Esprit charognard de l'extrême droite"
Interrogé par la RTS, Gilbert Casasus, professeur en études européennes à l'Université de Fribourg, estime que l'extrémisme en Allemagne vit "deux phénomènes en même temps". "Il y a une extrême droite très violente et une autre de plus en plus présente politiquement. Jusqu’à il y a quelques années, la violence traduisait une faiblesse politique, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui."
"Il faut s’inquiéter de cette concomitance", estime le spécialiste. "L’extrême droite allemande n’aime pas la République fédérale d’Allemagne (RFA). Ses partisans détestent cette Allemagne, son ancrage démocratique, citoyen, international et notamment européen. Il y a des liens idéologiques entre la période nazie et leur volonté de casser et de mettre fin à la RFA", assure-t-il.
"L’Allemagne a un passé qui n’est pas celui d’autres pays. Cet esprit charognard de l’extrême droite de détruire la démocratie est très présent. Il devrait être combattu avec force et détermination", estime Gilbert Casasus.
>> L'interview de Gilbert Casasus: