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Un an d'existence pour le mouvement de contestation algérien Hirak

Nouveau mouvement de contestation en Algérie. La colère est toujours là un an après la première mobilisation.
Nouveau mouvement de contestation en Algérie. La colère est toujours là un an après la première mobilisation. / 19h30 / 1 min. / le 21 février 2020
Le "Hirak", spectaculaire mouvement de contestation en Algérie, fête sa première année d'existence. Chaque vendredi, des centaines de milliers d’Algériens manifestent, pacifiquement, contre le régime.

Quand ils sont descendus pour la première dans la rue, en février dernier, c'était pour dire "dégage" au président Abdelaziz Bouteflika qui régnait depuis 20 ans sur le pays. A ce moment-là, personne - à commencer par les Algériens eux-mêmes - ne pouvait imaginer qu'ils braveraient ainsi le régime, et encore moins pendant si longtemps.

Après la démission de Bouteflika, le 2 avril 2019, le mouvement populaire, baptisé "Hirak", a réalisé que le président algérien n'était en fait que la face visible du problème. C'est l'armée qui tient véritablement les commandes, et ce depuis l'indépendance de l'Algérie en 1962.

>> Ecouter aussi l'interview du journaliste algérien Farid Alilat dans Forum :

Le mouvement de contestation algérien "Hirak" fête sa première année d'existence. [EPA/ Keystone - Mohamed Messara]EPA/ Keystone - Mohamed Messara
L’Algérie célèbre le premier anniversaire du mouvement de contestation pacifique Hirak : interview de Farid Alilat / Forum / 8 min. / le 21 février 2020

Contre la "dictature militaire"

En décembre dernier, ce sont les forces armées qui ont organisé une présidentielle largement boycottée par la population, et qui ont imposé un successeur à Bouteflika. En clair, l'armée a ordonné aux manifestants de rentrer chez eux. Mais le Hirak a refusé. Et désormais, les marcheurs du vendredi parlent de "dictature militaire", car depuis le départ d'Abdelaziz Bouteflika, le régime s'est encore durci.

"Il n'y a aucun signe d’apaisement. Il y a toujours des arrestations... ils kidnappent, carrément. Au milieu de la marche, de la foule, ils t'embarquent, puis tu te retrouves dans une gendarmerie. Tout le monde est menacé, mais on ne va jamais baisser les bras", explique dans l'émission Tout un monde de la RTS Kaci Tansaout, qui a constitué une association venant en aide aux manifestants arrêtés et emprisonnés.

Une routine quasi yogique

Aujourd'hui, les rassemblements du Hirak sont devenu une routine, et même les médias n'en parlent presque plus. Mais les Algériens font preuve d’une discipline quasi yogique, loin d'être contre-productive: d'une marche à l’autre, ils font retomber la pression. Les manifestants savent que le pouvoir n'a qu'un objectif: les pousser à la faute, afin d'instaurer l’état d’urgence et de mater définitivement les manifestations. Ainsi, quand vous êtes dans cette marée humaine et qu'un jeune commence à s’impatienter, c’est toute la foule autour qui lui met une main sur l’épaule et le calme.

Les manifestants ne veulent pas non plus recourir à la grève générale, parce qu'ils paralyseraient économiquement le pays et feraient souffrir une partie de la population, qui se détournerait du mouvement.

Enfin, le Hirak ne veut pas désigner de représentants, car le régime les éliminerait ou les neutraliserait.

Réconciliation

Les Algériens font-ils preuve de naïveté, d’amateurisme? C'est tout l'inverse, selon Karima Dirèche historienne, spécialiste de l’Algérie. "L'armée algérienne sait très bien tirer sur les siens (...). Les Algériens ont appris en un temps record à occuper l'espace public sans avoir peur, à découvrir l'action citoyenne, à ne plus se méfier de leurs voisins", lâche-t-elle.

Le régime fait donc maintenant face à une population unie. Jusqu'ici, à chaque fois qu'il était menacé, il avait su diviser les Algériens, par exemple en montant les laïcs contre les islamistes jusqu'à faire en sorte qu'ils se massacrent, dans les années 1990.

Si les Algériens prennent le temps de marcher chaque vendredi, c'est aussi une sorte de thérapie de groupe, de réconciliation nationale. "Pour la première fois, nous avons laissé de côté les problèmes, les différences idéologiques. Nous sommes sortis pour un seul point: sauver l’Algérie. Les démocrates, les laïcs, les islamistes... Nous sommes tous devenus une seule famille. Les Algériens se sont réconciliés", insiste Kaci Tansaout.

Aline Hacard/jvia

>> Ecouter aussi l'interview de Farid Alilat, journaliste algérien et auteur du livre "Bouteflika, l’histoire secrète", dans Forum :

Le mouvement de contestation algérien "Hirak" fête sa première année d'existence. [EPA/ Keystone - Mohamed Messara]EPA/ Keystone - Mohamed Messara
L’Algérie célèbre le premier anniversaire du mouvement de contestation pacifique Hirak : interview de Farid Alilat / Forum / 8 min. / le 21 février 2020
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Un mouvement pacifiste "prometteur"

Comment envisager la suite des événements? Sur le court terme, l’historienne Karima Dirèche n’est pas optimiste, car le pouvoir en place est prêt à tout pour garder le contrôle. Mais sur le moyen ou le long terme, elle est sûre que ce mouvement changera la donne.

"Le mode opératoire, celui de la réconciliation collective et celui du pacifisme, a dérouté complètement les modes opératoires classiques de la répression. On a affaire à une société qui a émergé, qui connaît ses dirigeants. Qui a tiré la leçon à la fois de l’histoire de la violence de la politique algérienne mais qui a aussi tiré la leçon de tous les printemps arabes de 2011", estime-t-elle.

Et de poursuivre: "Moi, j’ai l’impression que le Hirak algérien relance le processus de la contestation de 2011. Tout cela, ce sont des ingrédients extrêmement prometteurs".