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"J'étais étonné: pour une fois, l'Italie a un gouvernement qui fonctionne!"

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L'Italie entière en situation de quarantaine: Interview de Fabrizio Sabelli, professeur honoraire à l'IHEID, économiste, spécialiste de l'Italie / La Matinale / 9 min. / le 10 mars 2020
Pour Fabrizio Sabelli, professeur honoraire à l'IHEID, économiste, anthropologue et spécialiste de l'Italie, le gouvernement de Giuseppe Conte a pris les bonnes mesures en instaurant une quarantaine nationale. "La conscience des citoyens doit fonctionner", dit-il. "Les Italiens ont pris cette histoire vraiment au sérieux."

L'Italie entière est en quarantaine: 60 millions de personnes sont priées de rester chez elles et ne peuvent sortir qu'en cas d'urgence. Ou éventuellement pour aller travailler.

Plus aucun rassemblement n'est possible dans les rues, aucun match de foot n'a lieu. Les écoles, les musées, les salles de sport: tout est fermé.

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La mesure est sans précédent, à la hauteur de ce que vit le pays en ce moment, avec 97 décès supplémentaires en 24 heures.

Des policiers regardent quelques jeunes assemblés devant la Fontaine de Trevi, Rome le 8 mars 2020. [Keystone/epa - Massimo Percossi]
Des policiers regardent quelques jeunes assemblés devant la Fontaine de Trevi, Rome le 8 mars 2020. [Keystone/epa - Massimo Percossi]

L'Italie dénombrait lundi soir 463 morts liées au coronavirus pour un total de 9172 cas confirmés.

Tout le pays est donc désormais en zone rouge et Fabrizio Sabelli est aussi confiné dans son domicile romain. Le professeur honoraire de l'IHEID de Genève est juriste, anthropologue, économiste et spécialiste de l'Italie.

Lundi, il est allé faire une balade dans les rues de la capitale: "Hier soir, je suis quand même sorti voir Rome déserte: c'était fantastique. Passer dans la nuit et voir un désert habité, comme je ne l'avais pas vu depuis l'âge de 14 ans", explique-t-il mardi dans La Matinale.

Selon cet habitant du centre de Rome, les gens semblent respecter les indications des autorités: "Ces derniers temps, les Italiens ont pris l'habitude de suivre quand même assez bien les consignes du gouvernement. Ils se sont étrangement un peu éduqués avec cette histoire du coronavirus."

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Urgence sanitaire

Toute l'Italie est désormais en quarantaine, seulement deux jours après avoir confiné quatorze provinces du Nord. Une décision radicale, sans précédent: "Cela concerne le problème d'urgence sanitaire: si le virus continue à divaguer comme ça, dans le pays tout entier et surtout dans l'Italie du sud, il sera impossible de faire face à toutes les demandes de soin. (...) L'Italie a eu le consentement de l'OMS et de tous les experts du monde. C'était absolument nécessaire et je pense que ce sera une opération réussie."

Les marches de la Piazza di Spagna de Rome sont presque vide... la capitale est sous quarantaine, comme toute l'Italie. [Keystone/Anadolu Agency - Baris Seckin]
Les marches de la Piazza di Spagna de Rome sont presque vide... la capitale est sous quarantaine, comme toute l'Italie. [Keystone/Anadolu Agency - Baris Seckin]

Fabrizio Sabelli estime que les mesures du gouvernement de Giuseppe Conte sont adéquates: "Moi j'étais vraiment étonné, cette fois-ci. Pour une fois, l'Italie a un gouvernement qui fonctionne. Malgré quelques petits dérapages, quelques petites incertitudes au départ, ils ont fait preuve d'une très très très grande efficacité."

"On a un ministre de la santé [ndlr. Roberto Speranza] qui est jeune mais très efficace et très présent. Et un Premier ministre qui, lui aussi, a improvisé. Puisque ce n'est pas un politicien qui s'est montré – d'ailleurs il est lui aussi bien aimé par la majorité des Italiens, même ceux de l'opposition – tout à fait à l'aise dans ce rôle (...) Moi je suis étonné! Finalement, l'Italie a un gouvernement qui fonctionne bien", dit-il le sourire dans la voix au micro de La Matinale.

#IoRestoAcasa

La presse compare beaucoup l'Italie avec ce qui se passe en Chine, notamment à Wuhan, dans le foyer de l'épidémie. Mais l'approche est évidemment différente

Giuseppe Conte en appelle à la responsabilité des Italiens et a mis en avant le hashtag #IoRestoACasa ou #RestoACasa – #JeResteàLaMaison, en français.

Une méthode qui paraît fonctionner en Italie: "C'est ça la différence. Ici, on n'a pas un parti communiste qui domine la scène politique, qui oblige par la contrainte les gens à rester chez eux, sous peine de sanctions assez graves. C'est la conscience des citoyens qui doit maintenant fonctionner. Moi, je pense que ça ira. Ça ira, parce que, cette fois-ci, j'ai l'impression que les gens ont pris cette histoire vraiment au sérieux malgré le fait qu'il s'agit d'un fléau qui n'est pas tellement grave comme d'autres. Ce n'est pas la pandémie de 1918".

Interview radio: Romaine Morard

Adaptation web: Stéphanie Jaquet

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Le "jeu de la catastrophe"

Avec son œil d'anthropologue, Fabrizio Sabelli a bien observé ses compatriotes: "Je m'aperçois que, ces jours-ci, c'est un peu comme un jeu à Rome: les gens s'amusent un peu à jouer la catastrophe... A part dans les situations difficiles comme celles qu'on trouve dans les hôpitaux ou dans certaines usines qui sont pratiquement fermées à cause de ce fléau."

"Mais les Italiens adorent jouer", reprend-il. "Alors ils n'ont pas de football, bien sûr… il y aura le jeu de suivre les consignes du gouvernement et, parfois, avec quelques exceptions, et dans le Sud, elles seront très nombreuses. Les gens du Sud de l'Italie s'amusent davantage à défier les autorités que dans le Nord".

Un tournant après la crise?

Les pertes pour l'économie vont être abyssales: certaines entreprises risquent de mettre la clef sous la porte. L'Italie a de grosses craintes par rapport à la suite.

L'économiste voit plutôt cette situation comme une façon de rebondir: "La crise économique n'est pas seulement en Italie; je pense que tout notre système est en crise. C'est vraiment quelque chose qui n'a pas de comparaison avec la crise de 2008. Cette fois-ci, c'est beaucoup plus grave et, finalement, je pense qu'il y aura quelques changements. Les crises sont les bienvenues parce qu'elles apportent du changement".

"La première fois, en 2008, il n'y a pas eu de changements: on a recommencé exactement comme avant… Cette fois-ci, je pense qu'il y aura un tournant", conclut-il.