Modifié

Après le Brexit, la menace d'une dislocation du Royaume-Uni

Géopolitis: Royaume désuni [REUTERS - Francois Lenoir]
Royaume désuni / Geopolitis / 26 min. / le 22 mars 2020
Le divorce entre le Royaume-Uni et l'Union européenne ravive les tensions entre les différentes nations qui forment le pays. Majoritairement pro-européens, les Écossais pourraient réclamer leur indépendance et les partisans de la réunification de l'Irlande gagnent du terrain.

Le Brexit pourrait faire voler en éclats les frontières actuelles du Royaume-Uni. La sortie de l'Union européenne, actée le 31 janvier à 23 heures, heure de Londres, relance le débat sur l'unité du royaume. Londres doit faire face à la progression des indépendantistes en Écosse et garde un oeil inquiet sur la réaction des Irlandais. Pour le Premier ministre, Boris Johnson, le défi sera de boucler les négociations sur les modalités du divorce avec les Européens d'ici la fin de l'année, tout en s'assurant de maintenir un fort soutien à la cohésion du royaume.

Le bras de fer a déjà commencé en Écosse. Le parti indépendantiste de Nicola Sturgeon a remporté une victoire écrasante lors des dernières élections législatives générales, le 12 décembre 2019, en remportant 48 des 59 sièges qui reviennent à la région. Selon Pauline Schnapper, professeure de civilisation britannique à l'Université Sorbonne Nouvelle et invitée de Géopolitis, "avec le Brexit et surtout le fait que les Écossais avaient voté majoritairement pour rester dans l'Union européenne, la question de l'indépendance se repose. En tout cas, les indépendantistes écossais disent que pour ne pas sortir contre leur volonté de l'Union européenne, il faudrait que l'Écosse soit indépendante".

Un nouveau référendum écossais

Le gouvernement écossais a maintenant plus de poids pour négocier avec Londres l'organisation d'un nouveau référendum d'indépendance. Boris Johnson s'y oppose pour le moment, arguant que la question est réglée puisque qu'une consultation a déjà été organisée en 2014. 55% des votants s'étaient alors exprimés pour le maintien de l'Écosse au sein du Royaume-Uni. Mais la posture du Premier ministre pourrait être plus difficile à tenir à l'avenir. "Si la pression politique s'accentue, notamment l'année prochaine lors des élections au parlement écossais, sa position pourrait devenir fragile parce qu'il n'est pas non plus dans son intérêt de donner l'impression qu'il refuse à la nation écossaise une indépendance qu'elle réclamerait", souligne la co-auteure du livre "Où va le Royaume-Uni? Le Brexit et après".

Il n'est pas dans l'intérêt de Boris Johnson de donner l'impression qu'il refuse à la nation écossaise une indépendance qu'elle réclamerait.

Pauline Schnapper, professeure - Université Sorbonne Nouvelle

Mais le Brexit relance aussi la question irlandaise. Depuis 1921, l'île est partagée en deux: l'Irlande du Nord, assujettie à la couronne britannique, et la République d'Irlande, indépendante et membre de l'Union européenne. En 1998, après des années de tensions et de violences qui ont fait plus de 3000 morts en Irlande du Nord, l'accord du Vendredi Saint a finalement permis d'instaurer la paix dans cette partie du royaume. Une paix qui tient notamment grâce à la disparition des checkpoints à la frontière entre les deux Irlandes.

Aujourd'hui, la frontière est traversée quotidiennement par 30'000 personnes. "Le référendum sur le Brexit d'abord, puis la sortie effective du Royaume-Uni de l'Union européenne ont provoqué une très grosse crise en Irlande, notamment en Irlande du Nord, à cause de cette question de la frontière entre le Nord et le Sud", explique Pauline Schnapper. "Avec le Brexit, cette frontière devient celle de l'Union européenne. Une frontière qui doit être gardée et qui doit imposer des contrôles sur les marchandises, les biens et les personnes. Or cette frontière avait, de fait, disparu depuis 20 ans, depuis les accords de paix."

La frontière impossible

Pour éviter le retour physique d'une frontière entre les deux Irlandes, Boris Johnson propose plutôt d'instaurer des contrôles douaniers lors de la traversée maritime entre l'Irlande du Nord et la Grande-Bretagne. La partie britannique de l'île irlandaise resterait donc alignée sur les règles du marché unique européen. Mais selon Pauline Schnapper, cette solution pose aussi un problème important: "Cela introduit une frontière entre l'Irlande du Nord, qui fait partie du Royaume-Uni, et le reste du Royaume-Uni. C'est quelque chose qui est très difficile à accepter pour les unionistes protestants d'Irlande du Nord, qui sont le plus attachés au maintien dans le Royaume-Uni. Si l'option d'une frontière maritime est appliquée, les tensions ne vont-elles pas renaître entre les deux communautés d'Irlande du Nord qui étaient en paix depuis 20 ans? C'est une grande question!"

Mais Londres surveille aussi avec inquiétude ce qui se passe en République d'Irlande. Le Sinn Féin vient d'y remporter une victoire sans précédent, en arrivant en tête des législatives de février dernier. Partisan historique de la réunification, le Sinn Féin a engendré l'Armée Républicaine Irlandaise (IRA) qui a mené, durant trois décennies et jusqu'à la fin des années 90, la lutte armée pour l'indépendance de l'Irlande du Nord. Le parti a fait campagne principalement sur des questions sociales, dans un pays en proie à des problèmes de logement et d'inégalités. "Mais évidemment, on ne peut manquer de s'interroger sur la dimension politique de ce résultat. Il semblerait indiquer qu'il existe en République d'Irlande, dans le Sud, un courant plus favorable qu'avant à la réunification avec le Nord", analyse la professeure de civilisation britannique. Le Brexit n’a pas fini de faire des vagues au sein du "Royaume désuni".

Elsa Anghinolfi

Publié Modifié