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Le lavage des mains au gel hydro-alcoolique, une invention genevoise

Didier Pittet, médecin aux HUG, en visite d'expert à Hong Kong. [Aftermedia/2222 Productions/Stéphane Santini PCM]
"Clean hands - la main qui soigne, la main qui tue", sorti en 2016, est visible ci-dessus jusqu'au 21 avril 2020 - [Aftermedia/2222 Productions/Stéphane Santini PCM]
La petite fiole de gel hydro-alcoolique est devenue un produit populaire en quelques semaines. Mais qui sait qu'elle a été inventée à Genève par le médecin Didier Pittet ? Rediffusé par la RTS, le documentaire "Clean Hands" raconte la longue bataille du Genevois pour qu'elle devienne un incontournable des hôpitaux.

Avec la pandémie de coronavirus, le recours aux solutions hydro-alcooliques pour se désinfecter les mains est devenu presque un reflexe. Difficile d'imaginer qu'il y a à peine quelques années, cette pratique restait rare chez les médecins. Pourtant, au début des années 2000, l'absence d'hygiène dans les centres de soin provoquait la mort de 16 millions de personnes par an.

Révolté par les maladies nosocomiales (hospitalières), l'infectiologue genevois Didier Pittet a fait de l'hygiène des médecins son cheval de bataille, à un moment où cette problématique était encore considérée comme mineure. Durant vingt ans, il a parcouru le monde pour que le nettoyage des mains aux solutions hydro-alcooliques devienne une routine dans les hôpitaux. Son histoire, qui paraît invraisemblable aujourd'hui, est racontée dans le documentaire "Clean hands - la main qui soigne, la main qui tue", sorti en 2016 et visible ci-dessus jusqu'au 21 avril 2020.

Dans certains hôpitaux, même les mieux équipés et les mieux financés, le niveau de respect de l'hygiène des mains ne dépassait pas les 20 à 30%

Liam Donaldson, envoyé spécial de l'OMS

Des HUG au reste du monde

Lancée aux milieux des années 1990 au coeur des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), l'idée de Didier Pittet visait à remplacer le lavage de mains au savon par l'usage d'une solution hydro-alcoolique, accessible à tout moment et rapide à appliquer grâce à de petits flacons. Le projet est pourtant accueilli avec prudence, certains estimant que "c'est de la science pour infirmières" et qu'"on ne peut pas se frictionner les mains dix fois par heure". Mais Didier Pittet s'accroche. En l'an 2000, lui et son équipe publient un article dans la revue "The Lancet", qui démontre que les infections liées aux soins ont été divisées par deux aux HUG. Le "Geneva Model" fait sensation.

Le projet genevois est repris par l'Organisation mondiale de la santé en 2005 sous le nom de "Un soin propre est un soin plus sûr". Avec Didier Pittet comme ambassadeur, le programme a permis de faire chuter de moitié le nombre de décès directement imputés aux infections contractées à l'hôpital. Ce succès tient assurément à la ténacité du professeur, mais aussi à sa générosité puisqu'il a rendu publique la recette de sa solution hydro-alcoolique.

Peu de gens le connaissent ou ont même entendu parler de lui. Mais nombreux sont ceux qui lui doivent d'être en bonne santé, ou tout simplement en vie.

Margaret Chan, directrice de l'OMS

Une fatwa pour autoriser le gel hydro-alcoolique

Pour que les flacons hydro-alcooliques et le protocole qui les accompagne deviennent systématiques, Didier Pittet a visité des centaines de centres, du Royaume-Uni au Vietnam en passant par l'Arabie saoudite et le Liberia. Ce faisant, il a découvert le métier de diplomate de la santé. Car selon les us et coutumes de chacun, l'usage de gel hydro-alcoolique est problématique. La recette a dû être adaptée pour qu'elle soit imbuvable et pour qu'elle n'abîme pas... les faux ongles. Des négociations plus générales ont aussi dû être menées. Aux Etats-Unis, l'infectiologue a dû convaincre que la pose de solutions hydro-alcooliques dans les couloirs n'allaient pas provoquer d'incendie dans les hôpitaux.

Le plus difficile a été de trouver une solution avec la communauté musulmane.

Didier Pittet en négociation en Iran. [Aftermedia/2222 Productions/Stéphane Santini PCM]
Didier Pittet en négociation en Iran. [Aftermedia/2222 Productions/Stéphane Santini PCM]

Lorsqu'ils ont découvert qu'une infirmière de Londres avait été chassée de chez elle "parce qu'elle appliquait de l'alcool sur ses mains", les diplomates de la santé se sont rendus directement en Arabie saoudite, où les autorités religieuses leur ont confirmé que les musulmans n'ont pas le droit d'absorber d'alcool, même par la peau. Après des discussions avec la Ligue musulmane, une fatwa a donc été établie afin que l'alcool soit autorisé pour se désinfecter. Des flacons figurent même désormais dans les kits pour les pèlerins de La Mecque. Des débats similaires ont été menés en Iran avec la communauté chiite.

Aujourd'hui, 170 pays pratiquent le programme et les solutions hydro-alcooliques font partie de la liste des médicaments essentiels de l'OMS. Mais la mission n'est pas terminée. Dans certains pays, plus de 25% des patients contractent encore une infection lors de soins, estime l'Organisation mondiale de la santé.

Quant à Didier Pittet, il a reçu de nombreuses distinctions et peut-être qu'un jour, il sera même honoré d'un Nobel...

Caroline Briner

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