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Ce que disent et ne disent pas les chiffres et les courbes du coronavirus

Ce que disent et ne disent pas les chiffres et les courbes du coronavirus.
Mise en perspective des chiffres sur l’épidémie de coronavirus en Suisse. / La Matinale / 4 min. / le 24 mars 2020
Les décomptes du nombre de contaminations et de décès liés au Covid-19 peuvent conduire à des interprétations fausses si l'on ne prend pas en compte certains facteurs, a mis en garde l'épidémiologiste Julien Riou dans La Matinale de la RTS mardi. Décryptage.

Il est difficile d'y voir clair dans l'avalanche de chiffres en relation avec l'épidémie de Covid-19 qui touche le monde. Les sources varient et toutes ne mettent pas à jour leurs données en même temps. En outre, les manières de compter ou le nombre de tests effectués à l'échelle d'un pays peuvent faire varier grandement les chiffres.

La comparaison d'un pays à l'autre ou d'un canton à l'autre est dès lors compliquée. Ainsi, si on prend les chiffres au pied de la lettre, l'Italie recensait lundi soir 6077 morts pour 63'927 cas confirmés de coronavirus, tandis que l'Allemagne ne comptait que 123 décès pour 29'056 cas.

On pourrait donc penser que le taux de mortalité en Italie (9,5%) est très nettement supérieur à celui observé en Allemagne (0,4%), ce qui ouvre la voie à un grand nombre de conjectures: le système de santé italien est-il considérablement plus mauvais que celui des autres pays? Les défenses immunitaires de ses habitants sont-elles moins préparées à faire face au Covid-19? Ou encore, le pays fait-il face à une souche de virus plus résistante qu'ailleurs?

Le nombre de tests est crucial

En réalité, ces chiffres dépendent beaucoup du nombre de tests réalisés, et indirectement de la stratégie des différents pays ou régions. Teste-t-on toute la population? Ou alors uniquement les personnes symptomatiques? Ou seulement les personnes à risque parmi celles qui sont malades?

Sans réponse claire à ces questions, "faire des comparaisons a peu de sens", a estimé Julien Riou dans La Matinale de la RTS mardi.  Pour l'épidémiologiste à l'Université de Berne, "cela peut à la limite donner une borne inférieure" si l'on utilise les données des pays dont on sait qu'ils font beaucoup de tests. "Mais dans les pays où on teste assez peu, il est vraiment difficile de comprendre ce qui se passe".

>> Ecouter le sujet de La Matinale de lundi au sujet de la disponibilité des tests de dépistage en Suisse :

Un médecin traitant un malade du coronavirus à l'hôpital de Locarno. [KEYSTONE/Ti-Press - Alessandro Crinari]KEYSTONE/Ti-Press - Alessandro Crinari
La Suisse cherche des solutions alternatives face au manque de tests de dépistage / La Matinale / 2 min. / le 23 mars 2020

Des taux de mortalité probablement très proches

Une étude estime par exemple qu'il y a eu dans la province de Hubei, en Chine, le foyer de l'épidémie, sept fois plus de cas que ceux qui ont été détectés. Les travaux menés par Julien Riou et ses collègues donnent un ordre de grandeur similaire en Italie: huit fois plus de contaminations réelles que de cas dépistés pendant le premier mois d'épidémie. Ces chiffres ramèneraient le taux de mortalité observé en Italie à un niveau nettement plus bas que les 9,5% calculés pour le moment, davantage en phase avec celui de la majeure partie des autres pays.

Les courbes comparatives qui présentent le nombre de cas par pays dépendent donc beaucoup du nombre de tests que chacun d'entre eux décide de faire, ou parvient à faire chaque jour. A l'échelle d'un seul pays, cependant, une proportion de résultats positifs en baisse avec une quantité de tests restée constante donne tout de même une indication positive sur l'évolution de l'épidémie au sein de la population testée.

>> Courbes du nombre de cas par pays:

Courbe des décès: plus éclairante mais pas parfaite

La courbe du nombre de morts, elle, est plus parlante et moins sujette à des biais que celle du nombre de cas, car les décès ont beaucoup moins de chances de passer inaperçus que les contaminations. Alors qu'un nombre conséquent de personnes contaminées, notamment celles qui développent peu de symptômes, risquent de ne jamais être dépistées, il y a peu de chances que beaucoup de décès liés à des problèmes respiratoires passent sous le radar, estiment plusieurs spécialistes.

Mais là aussi, il faut se méfier lorsque l'on compare un pays à un autre. Il y a en effet un délai de près de quatre semaines, en moyenne, entre infection et décès. Autrement dit, le taux de mortalité dépend beaucoup du stade de progression de la maladie dans un pays. "Au début de l'épidémie, on a déjà beaucoup de cas et pas encore de morts", illustre Julien Riou. Avec ses collègues, il a calculé que, une fois ces décalages de temps compensés, on trouve des mortalités comparables en Chine et en Italie.

>> Courbes du nombre de décès par pays, avec prise en compte du décalage dans le temps:

Trop tôt pour une vue globale et précise

Le taux de mortalité dépend aussi de l'efficacité de la réponse sanitaire au sein des pays: si le système de santé est saturé, la mortalité va grimper, parce qu'on ne peut pas s'occuper de tous les patients, ou moins bien.

Les pays qui ont réussi à isoler très vite les premiers cas ou à prendre des mesures plus efficaces ou plus précoces que d'autres vont peut-être pouvoir maintenir relativement bas le nombre de décès. Mais il faudra attendre que la vague soit passée pour obtenir une vue globale et précise des taux de mortalité et de contamination par pays, et pour tirer des conclusions sur l'efficacité des différentes stratégies de prévention et sur la qualité des systèmes de soin.

Lucia Sillig / Vincent Cherpillod

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