Lundi, la capitale russe est entrée dans sa première journée d'un confinement d'une durée indéterminée. Les Moscovites ne sont autorisés à sortir de chez eux que pour se rendre au travail, pour les urgences médicales, pour se ravitailler au supermarché le plus proche ou aller dans une pharmacie.
A ce jour, le pays de 146 millions d'habitants compte officiellement 1534 cas d'infection et huit décès, un bilan remis en question par des journalistes et des médecins indépendants, et pas seulement en raison d'un dépistage partiel. De nombreux cas et même des décès ont tendance à être classés comme pneumonie.
La réaction russe a été progressive, et parfois paradoxale selon Julien Nocetti, chercheur à l'Institut français des relations internationales, spécialiste de la Russie et de stratégies numériques. "En février, les autorités fermaient les frontières avec la Chine, mais du côté européen du pays, tout suivait son cours."
Voie ouverte à deux nouveaux mandats
Le coronavirus commençait alors sa rapide propagation sur le Vieux Continent. Au même moment, Vladimir Poutine était occupé par un enjeu majeur de sa politique: son maintien au pouvoir. Mercredi dernier, le chef du Kremlin a dû annoncer le report d'un vote populaire prévu le 22 avril sur une réforme de la Constitution lui permettant de prolonger son mandat jusqu'à 2036, l'année de ses 84 ans. Les députés russes l'ont déjà acceptée.
Ce qui apparaissant comme une simple formalité pourrait bien se transformer en test. "L'épisode sanitaire que l'on connaît sera un moyen de contrôler la résilience du système Poutine et la fiabilité de son entourage. La crise montrera si des alternatives politiques sont possibles dans les années à venir."
Le système de santé inégalitaire figure au coeur de ce test géant. "La médecine de ville étant quasiment inexistante, les soins dépendent beaucoup du réseau hospitalier, qui a souffert de nombreuses réformes et coupes budgétaires", explique Julien Nocetti. Les plus riches se ruent sur les respirateurs artificiels, espérant un traitement à domicile en cas d'infection au coronavirus.
Message à l'OTAN et l'UE
S'ajoute à ce moment charnière de politique intérieure un agenda diplomatique. Avec la Chine, la Russie a été le premier Etat à répondre à l'appel à l'aide de l'Italie (plus de 10'000 décès liés au virus). Une centaine de militaires et du renfort médical hautement spécialisé ont été déployés dimanche dans le nord de la péninsule, meurtrie par le coronavirus.
"Ces gestes forts ont été médiatisés", analyse le chercheur français. "Il s'agit d'une part d'un message à l'OTAN qui vise à montrer que l'Italie pouvait, en accueillant ce matériel, devenir un pont avec la Russie. D'autre part, le pouvoir cherche un assouplissement, voire un retrait des sanctions européennes qui la ciblent [ndlr, sanctions décidées en 2014 après l'annexion de la Crimée par Moscou]".
En attendant la fin encore incertaine de la pandémie, les moindres faits et gestes de Vladimir Poutine seront scrutés, de loin. Pour l'opposition, qui risque de peiner à se mobiliser, confinement oblige, la réforme de la Constitution est, ni plus ni moins, un putsch.
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Alexia Nichele