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L'Union européenne se déchire sur l'avenir en pleine crise du coronavirus

Isabelle Ory "Les Européens ont rétabli assez vite leur coopération, mais le chaos des débuts de la crise a marqué les esprits.
Isabelle Ory "Les Européens ont rétabli assez vite leur coopération, mais le chaos des débuts de la crise a marqué les esprits. / 19h30 / 1 min. / le 30 mars 2020
Les pays européens sont divisés sur la réponse à apporter au choc économique provoqué par le Covid-19 alors que la crise sanitaire prend de l'ampleur sur le continent. Voici quatre éléments à retenir.

Discorde sur l'après-crise

Après s'être entendus sur un plan d'aide inédit, de 1000 milliards d'euros, les Vingt-Sept s'écharpent sur la réponse à apporter à la crise économique qui pourrait suivre l'épidémie de coronavirus. Au terme d'un sommet houleux, qui s'est achevé sans accord le 26 mars, le Premier ministre portugais Antonio Costa a même dénoncé vertement la "mesquinerie" des Pays Bas.

Le désaccord porte sur la demande de neuf pays européens, dont l'Italie, l'Espagne et la France, qui appellent à la création de "corona bonds" afin de disposer de fonds importants pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire exceptionnelle qui secoue l'UE. Or, la mutualisation des dettes des pays européens est une pierre d'achoppement entre les pays particulièrement endettés et ceux qui sont plus vertueux en matière budgétaire. Parmi eux, l'Allemagne et les Pays-Bas observent avec méfiance les Etats déficitaires, qu'ils jugent plus laxistes.

Emettre des euro-bonds, c'est traverser la frontière vers une union de transfert, une mutualisation des dettes, et nous ne voulons pas de cela

Mark Rutte, Premier ministre néerlandais

Ces deux pays prêchent donc plutôt pour un recours au fonds de sauvetage de la zone euro (Mécanisme européen de Stabilité ou MES) qui pourrait octroyer une ligne de crédit aux Etats en difficulté. Mais l'Italie, le pays le plus endetté de la zone euro (130% du PIB) derrière la Grèce, s'y oppose, car les prêts du MES sont habituellement soumis à des conditions strictes. En outre, elle craint que cela n'envoie un signal négatif aux marchés, donnant l'impression qu'elle est sous assistance.

La colère des "pays latins"

"L'UE doit apprendre des leçons du passé et ne pas échouer de nouveau envers ses citoyens", a déclaré vendredi le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez sur Twitter, dans une allusion claire à la grande crise financière, quand les pays membres les plus riches s'étaient montrés intransigeants envers les pays du sud lourdement endettés, à commencer par la Grèce.

"La réponse européenne doit être solidaire et tournée vers les plus vulnérables", a insisté le chef du gouvernement espagnol, dont le pays est le deuxième plus touché par la pandémie en Europe derrière l'Italie, en demandant "un plan de reconstruction renforçant les mécanismes de l'Etat providence européen".

"Nous ne surmonterons pas cette crise sans une solidarité européenne forte, au niveau sanitaire et budgétaire", a également averti le président français Emmanuel Macron dans une interview donnée vendredi aux journaux Corriere de la Serra, La Stampa et La Repubblica. Une solidarité qu'il n'a d'ailleurs pas manqué de saluer sur les réseaux sociaux lorsque plusieurs pays - dont la Suisse - ont accepté la prise en charge de malades français dans leurs hôpitaux (lire encadré).

"La santé n'est pas de la compétence de l'UE, mais des Etats", rappelle René Schwok, spécialiste des Affaires européennes à l'Université de Genève. A ses yeux, ces transferts ont donc plutôt valeur de symbole. "On peut plus raisonnablement se demander pourquoi il n'y a pas eu plus de moyens d'urgence déployés vers l'Italie ou l'Espagne comme c'est parfois le cas pour des crises plus lointaines", estime-t-il.

L'appel de Jacques Delors

L'enjeu est tel qu'il a fait sortir l'ancien commissaire européen, Jacque Delors, de sa réserve. Le manque de solidarité fait "courir un danger mortel à l'Union européenne", a averti samedi ce grand défenseur de l'Europe, aujourd'hui âgé de 94 ans, dans une déclaration transmise à l'AFP par l'institut à son nom qu'il a fondé.

"Le climat qui semble régner entre les chefs d'Etat et de gouvernement et le manque de solidarité européenne font courir un danger mortel à l'Union européenne", estime l'ancien ministre français de l'Economie, qui a présidé la Commission de 1985 à 1995. "Le microbe est de retour", a-t-il mis en garde en référence à la tentation nationaliste à l'oeuvre dans plusieurs pays.

Si nous ne sommes pas maintenant prêts à partager notre richesse alors je ne sais pas ce qui va advenir de cette Europe

Sigmar Gabriel, ex-ministre allemand des Affaires étrangères

Au vu de la gravité de la situation, de plus en plus de voix s'élèvent à travers l'Europe pour réclamer davantage de solidarité. Ainsi l'ex-ministre allemand des Affaires étrangères et de l'Economie, le social-démocrate Sigmar Gabriel, s'est inquiété de voir "l'Europe se désagréger", dans un entretien au Bild, journal le plus lu d'Allemagne. Et le président de la Banque centrale néerlandaise, Klaas Knot, a lancé à l'attention de Mark Rutte: "La maison brûle. Tous les efforts doivent maintenant être portés sur l'extinction du feu".

Un effort de communication

Tweet de la Commission européenne du 26 mars 2020. [RTS - Capture d'écran]
Tweet de la Commission européenne du 26 mars 2020. [RTS - Capture d'écran]

Sous la pression de l'Italie, les ministres des Finances des pays de la zone euro se sont finalement engagés à faire des propositions à leurs dirigeants dans les deux semaines à venir. "Il est peu probable que l'Allemagne recule sur la question des 'corona bonds'", observe le professeur René Schwok qui insiste: "Certains pays sont déçus, mais il faut rappeler qu'un fonds de 1000 milliards d'euros vient d'être dégagé pour soutenir les systèmes de santé et les entreprises des pays membres. C'est colossal".

Et cet expert de l'Europe de souligner que l'Allemagne a également consenti à faire voler en éclats les critères de Maastricht et surtout le Pacte de stabilité auquel elle tenait beaucoup. "Il est possible que l'UE ne revienne jamais sur ces critères", avance même René Schwok.

Des traités sur lesquels on s'assoit et une solidarité politique mise à mal, c'est donc bel et bien l'image que risque de laisser l'Union européenne faute d'une communication efficace. Sauf si le virage opéré ces derniers jours en termes de communication porte ses fruits. "C'est sain d’avoir du débat, je ne comprends pas pourquoi nous doutons toujours de nous-même, l'UE sort toujours par le haut des crises", a encore souligné le porte-parole de la Commission, Eric Mamer, lundi lors d'un point presse. Une réaction tardive, mais indispensable face à la propagande efficace de Moscou et, surtout, de Pékin.

>> Les précisions d'Isabelle Ory, correspondante auprès de l'UE, à retrouver ce soir dans le 19h30

Article web: Juliette Galeazzi

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Des transferts de patients entre pays européens

Pour désengorger les hôpitaux du Grand Est, l'une des régions françaises les plus touchées par l'épidémie, de nombreux transferts de patients par voie aérienne, terrestre et ferroviaire ont été réalisés ces derniers jours vers d'autres régions françaises et les pays frontaliers.

Quatre-vingts personnes sont ainsi hospitalisées en Allemagne, en Suisse et au Luxembourg, selon la secrétaire d'Etat française aux Affaires européennes, Amélie de Montchalin.

"Nous sommes aux côtés de nos amis français", a tweeté la ministre allemande de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer. "Avec mon homologue française @florence_parly, nous nous sommes mises d'accord pour que notre armée de l'air transporte des patients gravement atteints par le Covid-19 afin qu'ils soient traités dans nos hôpitaux militaires allemands".

L'Allemagne a également accueilli une dizaine de patients du nord de l'Italie, où les hôpitaux sont dépassés par l'ampleur de l'épidémie.