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Et si les achats de panique n'avaient pas vraiment eu lieu?

Une cliente photographiée en train de faire ses achats dans la ville allemande de Potsdam, le 20 mars 2020. [Reuters - Michele Tantussi]
Une cliente photographiée en train de faire ses achats dans la ville allemande de Potsdam, le 20 mars 2020. - [Reuters - Michele Tantussi]
Sur les réseaux sociaux ou dans la presse traditionnelle, il est devenu impossible de manquer ces images: dans les supermarchés, des étagères de pâtes, de boîtes de conserve ou de papier toilette vides ou presque vides. Alors, les gens ont-ils cédé à des achats de panique? Plusieurs études tendent à prouver le contraire.

Face à la crise sanitaire que provoque le Covid-19 depuis de longues semaines, les gouvernements n'ont pas tous réagi de la même façon. Néanmoins, les conséquences de la propagation du virus ont peu à peu tendance à s'unifier.

Aux quatre coins de la planète, on assiste en effet aux mêmes scènes: les confinements, obligatoires ou fortement conseillés, se mettent en place, les cours sont suspendus, les employés sont priés de se mettre au télétravail et c'est toute une économie qui tourne au ralenti.

Dans ces conditions extraordinaires, la corrélation entre la pandémie et la disparition de papier hygiénique, de paquets de riz ou encore de boîtes de ravioli dans les centres commerciaux est limpide. Mais cela veut-il dire pour autant qu'une partie significative de la population mondiale a adopté un comportement "survivaliste" et commencé à stocker de manière massive des denrées alimentaires?

Un changement d'habitude mineur

Kantar, une entreprise britannique spécialisée dans les études de marché, a tenté de répondre à cette question. La société a effectué une enquête pour analyser les habitudes d'achat de plus de 100'000 consommateurs du Royaume-Uni.

Les données récoltées ont apporté une conclusion qui peut sembler contre-intuitive: en comparant une semaine de consommation du milieu du mois de mars à une semaine du milieu du mois de février, il s'est avéré que seul une minorité de personnes s'étaient livrées à ce qu'on pourrait traditionnellement considérer comme un comportement de stockage.

Ainsi et à titre d'exemple, seuls 6% des consommateurs étudiés avaient acheté du savon liquide en quantité extraordinaire et 3% des acheteurs s'étaient rués de manière excessive sur des pâtes.

Au lieu de cela, les données de Kantar montrent qu'un nombre important de clients ajoutent uniquement quelques produits supplémentaires à leur panier lors de chaque déplacement dans un supermarché, avec comme résultat, une augmentation des dépenses de 16% par visite.

Selon l'étude, les pénuries temporaires constatées dans les magasins alimentaires sont donc beaucoup moins le fait d'achats "de panique" que d'une légère augmentation de la consommation de la plupart des acheteurs.

L'effet amplificateur des réseaux sociaux et des médias

Cette augmentation des achats serait par ailleurs largement provoquée par la diffusion d'images d'étagères vides. Selon une autre étude, conduite cette fois-ci par la Business School d'Edimbourg et l'Université de Southampton, 86% des 230 adultes britanniques interrogés déclarent que ces photos les inciteraient à acheter davantage.

Pour Ben Marder, maître de conférences en marketing à la Business School de l'Université d'Edimbourg et auteur de l'étude, il faut en appeler à la responsabilité des médias et des gouvernements: "En ces temps d'incertitudes, l'utilisation d'images d'étagères vides est une erreur critique quand l'objectif à atteindre est d'éviter les achats de panique. A ce titre, nous exhortons les médias et les gouvernements à être extrêmement prudents dans leur communication".

Un approvisionnement calculé à la demande

La rapidité avec laquelle les étagères se sont vidées est aussi symptomatique des chaînes d'approvisionnement modernes. Celles-ci reposent sur un volume de produits qui suit aussi bien que possible la demande des clients.

Pour rester sur l'exemple britannique, les supermarchés n'ont à aucun moment manqué de produits essentiels comme le papier toilette, mais parce que les commandes faites aux fournisseurs sont adaptées à la consommation moyenne des clients, l'augmentation a créé un décalage.

En temps normal, cet alignement aux demandes des clients permet aux magasins de ne pas avoir de stock inutilisé dans les entrepôts et d'éviter autant que possible le gaspillage.

Au final, si certains individus ont en effet eu un comportement extrême de stockage, la majorité des acteurs semblent être restés rationnels, en s'adaptant tout simplement à de nouvelles conditions.

Avec les restaurants fermés et l'appel massif à rester chez soi et à faire du télétravail, il n'est en effet plus surprenant d'anticiper une augmentation de la consommation dans les différents commerces alimentaires.

Tristan Hertig

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