"C’est injuste de dire que l’Espagne a réagi tardivement", objecte jeudi la ministre espagnole dans La Matinale de la Première. "Notre réaction s'est basée sur les autorités sanitaires et scientifiques internationales. Mais on connaissait mal ce virus, et toute la planète en a sous-estimé la dangerosité"
"Peut-être aussi parce que les précédentes épidémies graves (H1N1, Ebola) ont été très localisées, alors que Sars-CoV-19 touche la planète entière", analyse-t-elle.
Ralentissement des contagions
La pandémie a fait plus de 10'000 morts à ce jour en Espagne, avec 950 décès supplémentaires en l'espace de 24 heures. Le pays compte 110'238 cas de contamination, soit une hausse de 8102 cas.
Arancha González Laya note cependant un début de stabilisation et un ralentissement des contagions, ainsi que des admissions aux soins intensifs. Mais la courbe n’est pas encore inversée, prévient-elle. "La situation est meilleure, grâce au confinement, mais si on commence à entrapercevoir de la lumière, on n’est pas encore sortis du tunnel".
...mais l'horizon est nuageux
Outre le bilan sanitaire, l'Espagne sera elle aussi durement impactée par les conséquences économiques de la situation actuelle. Des secteurs essentiels, comme l'agriculture, qui nécessite beaucoup de main d'oeuvre étrangère saisonnière, vivent actuellement une grave période d'incertitude (voir encadré).
L'Espagne a enregistré en mars 302'265 nouveaux demandeurs d'emploi, en raison de "l'impact extraordinaire de la crise", a annoncé jeudi le ministère du Travail. Cette hausse est la plus forte jamais observée dans les statistiques, alors que l'Espagne affiche déjà le deuxième taux de chômage le plus élevé de la zone euro (13,8%), derrière la Grèce.
Si tous les secteurs économiques sont touchés, les services paient le plus lourd tribut, avec plus de 200'000 chômeurs supplémentaires, dans un pays où le tourisme représente 12% du PIB, avec un large recours aux contrats temporaires.
"Il ne s’agit pas de charité!"
La pandémie risque de faire bondir le chômage un peu partout dans le monde: la semaine dernière, les Etats-Unis ont recensé 3,3 millions de nouveaux demandeurs d'allocations chômage, du jamais vu. Face à cette situation, Arancha González plaide pour l'entraide et la solidarité internationale, notamment au sein de l'Union européenne.
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"Il n’y a pas de manière unique" de réagir face à cette crise, estime-t-elle, "à chacun sa méthode, ce qui compte à la fin, c’est le résultat". Mais "ce qui nous unit tous, c’est qu’on a dû mettre l’emploi et l’activité économique en hibernation, ce qui va demander un effort de coopération énorme" pour relancer la machine.
"Il ne s’agit pas de charité! Il faut une réponse commune européenne", tonne Arancha González. Aujourd’hui, tous les pays de l’UE sont touchés par un arrêt économique massif, qui nécessitera une dépense publique massive dans un climat d’incertitude.
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"Tous dans la même barque"
Alors que les pays du sud de l'Europe commencent à faire entendre leur voix pour la création d'emprunts communs, sous la forme de "coronabonds", les Etats du nord refusent en bloc de pousser la solidarité jusqu'au point de mutualiser ainsi les dettes.
"On est tous dans la même barque, et dans cette barque il n’y a pas de citoyens de première ou de seconde catégorie. Soit on rame tous ensemble, soit on coule tous ensemble", explique encore la ministre espagnol.
Continuer d'y croire
Arancha González Laya, qui connaît bien la Suisse pour avoir travaillé durant 14 années à Genève, dit cependant croire toujours en les vertus de la coopération internationale.
"Le commerce international et la mobilité sont à la base des sociétés occidentales", dit-elle, "on a besoin de l’apport des autres, on a besoin d’importer ! Mais la crise montre aussi qu’il faut des règles plus sérieuses et solides en matière de commerce international".
Elle estime que son pays soutient encore la construction européenne, mais que ses citoyens ne sont pas dupes. "Le soutien des Espagnols à l’UE n’est pas un acquis, et l’Europe doit agir de sorte à ce qu’il soit préservé ! Il faut nourrir le citoyen espagnol, pour qu’il continue à y croire, et montrer que l’UE fait partie de la solution".
Propos recueillis par David Berger
Texte web : Pierrik Jordan
Le "verger de l'Europe" menacé
L'un des secteurs essentiels à l'économie espagnole, l'agriculture, est directement menacé par les mesures de restrictions internationales de mobilité. L’Espagne est parfois qualifié de "verger de l’Europe", et ses agriculteurs en sont les garants.
S’organiser face à la crise est une tâche délicate, confirme Cristobal Picon, agriculteur et représentant du secteur des fruits et légumes des Coopératives de Huelva, en Andalousie. Si la main d’œuvre ne manque pas pour l’instant, il s’inquiète pour les jours à venir. En effet, la période forte de la récolte des fraises, des framboises, des myrtilles et des mûres se concentrera surtout entre la mi-avril et la fin du mois de mai.
Par exemple, dans la province de Huelva, sur 12’000 travailleurs attendus en provenance du Maroc, seuls 3000 ont pu venir avant la fermeture des frontières. Et les saisonniers attendus en provenance d’Europe de l’est ne peuvent pas non plus venir.
"Ce qui va se passer est une incertitude. C’est difficile à prévoir", explique Cristobal Picon. Mais sa coopérative s'organise : elle fabrique ses propres masques pour équiper ses employés. Le secteur de l’agriculture cherche aussi à attirer les Espagnols au chômage, notamment ceux du secteur tourisme. Sans grand succès jusqu'à présent, "mais je crois que, lorsque les gens seront au chômage depuis déjà quelque temps ou s’ils se retrouvent sans aides, travailler sera une opportunité et j’espère que nous ne manquerons pas de main d’œuvre".
Ces agriculteurs doivent aussi faire face à la diminution de 30 à 40 % de la demande en Espagne après la fermeture de tous les bars, restaurants et hôtels.