Selon des sources diplomatiques, l'échec de la réunion entamée mardi après-midi, qui porte sur un ensemble de mesures représentant plus de 500 milliards d'euros, est dû à des divergences entre l'Italie et les Pays-Bas au sujet de la mutualisation de la dette.
"Après 16 heures de négociations, pas d’accord à l’Eurogroupe sur la réponse économique à la crise du coronavirus. Nous reprenons demain", a écrit le ministre français de l'Economie et des Finances Bruno Lemaire sur Twitter. Selon Mario Centeno, président de l'Eurogroupe, un accord était proche, "mais nous n'y sommes pas encore", a-t-il regretté.
Nord contre Sud
L'Italie et l'Espagne, pays de la zone euro les plus lourdement frappés par l'épidémie, sont aussi les plus fervents partisans de la création de "coronabonds", des obligations mutualisées qui permettraient de financer une relance de l'activité économique en créant une dette commune aux pays de l'UE. La France et six autres pays plaident également en faveur de ce nouvel instrument de dette commun émis par une institution européenne pour lever des fonds sur le marché.
Les Pays-Bas, l'Allemagne et d'autres Etats comme la Finlande s'opposent toutefois à cette mutualisation. Ils notent que tous les membres de la zone euro ont encore accès à des taux bas sur le marché obligataire et que les règles communautaires encadrant les déficits budgétaires ont été levées le temps de la pandémie, ce qui leur laisse davantage de marge.
"Il faut une réponse inédite"
"Il faut une réponse à la hauteur du défi, créative et inédite, comme le défi est inédit", estime pour sa part l'ancien chef du gouvernement italien entre 2013 et 2014 Enrico Letta, invité dans La Matinale de la RTS mercredi. "On ne peut pas faire ça en restant dans le cadre de ce qu'on avait décidé pour d'autres crises, de puissance assez différente de celle-ci".
Je crains pour l'europhilie de mon pays, qui est en train de s'effondrer sur l'écho de cette attitude radine
Europhile convaincu, il est déçu des dissensions que l'Europe traverse et regrette l'actuel affrontement nord-sud: "Il y a une discussion stéréotypée qui est insupportable. Les dissensions sont liées au fait assez hasardeux que c'est l'Italie et l'Espagne [plutôt que des pays du nord de l'Europe] qui sont touchés davantage. Si ça avait été le contraire, les choses auraient été différentes. Je crains pour l'europhilie de mon pays, qui est en train de s'effondrer sur l'écho de cette attitude radine", déplore Enrico Letta.
"Le virus n'a pas de passeport"
"Au tout début, le nord a dit: 'vous avez été touchés parce que vous avez des dettes et un système de santé publique pas à la hauteur'. Mais quand on voit maintenant que New York est la ville la plus touchée, on comprend qu'être cigale ou fourmi n'est pas la question. Le virus n'a pas de passeport, il va où il veut", poursuit l'ancien chef du gouvernement italien "La crise touche tout le monde, il n'y a pas un pays qui va s'en sortir tout seul. L'économie européenne est totalement intégrée. Si l'Italie s'effondre, c'est Mercedes aussi qui s'effondre", illustre-t-il.
Au début, le nord a dit: 'vous êtes touchés parce que vous avez des dettes et un système de santé pas à la hauteur'. Mais quand on voit que New York est la ville la plus touchée, on comprend qu'être cigale ou fourmi n'est pas la question
"Personne ne veut de mutualisation de la dette du passé. Personne ne veut utiliser l'épidémie pour faire en sorte d'obliger les pays du nord à prendre en charge la dette du passé des pays du sud, qui a une histoire différente. On comprend très bien qu'il puisse y avoir de la méfiance. Il faut convaincre les Pays-Bas et l'Allemagne que personne ne veut toucher à leur dette et à leur épargne", conclut Enrico Letta.
Vincent Cherpillod avec les agences
Les autres pistes à l'étude
Outre les coronabonds, sur lesquels les Etats ne s'entendent pas, d'autres pistes sont également à l'étude, à commencer par le recours au Mécanisme européen de stabilité (MES), un dispositif de gestion des crises financières mis en place en 2012 et qui permettrait de débloquer des lignes de crédit allant jusqu'à 2% du PIB d'un pays qui solliciterait cette aide, soit, au total, 240 milliards d'euros. Des divergences persistent toutefois quant aux conditions d'attribution de ces prêts. Pour ses partisans, le recours au MES constitue une alternative valable à l'émission de coronabonds.
Les Etats-membres envisagent également d'apporter 25 milliards d'euros de garanties à la Banque européenne d'investissement, qui lui permettrait d'accorder en retour jusqu'à 200 milliards de prêts additionnels.
Prise en charge des salaires par l'Etat
La troisième piste qui semble retenue à ce stade porte sur la proposition de la Commission européenne de lever 100 milliards d'euros sur le marché, garantis par les Vingt-Sept, pour financer un mécanisme de chômage partiel où les Etats prendraient en charge une partie des salaires.
La Commission et les Pays-Bas proposent par ailleurs la création d'un fonds d'urgence de 20 milliards d'euros pour l'achat d'équipements médicaux et de produits de santé.
Allemagne et Pays-Bas réitèrent leur refus
L'Allemagne a réitéré mercredi son refus d'envisager des emprunts mutualisés en Europe pour répondre à l'impact économique du coronavirus, après l'absence d'accord sur une réponse collective, dans la nuit, des pays de la zone euro. La relance de l'économie européenne est possible "avec des instruments très classiques" et déjà existant "comme par exemple le budget de l'Union européenne" et "cela suffit de se concentrer sur ces instruments", a déclaré à la presse le ministre allemand des Finances Olaf Scholz.
Le ministre néerlandais des Finances Wopke Hoekstra, lui, a jugé mercredi que la création de "coronabonds" (ou "eurobonds") créerait davantage de problèmes que de solutions pour relancer l'économie sur le long terme une fois la crise passée.