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Istanbul: journaliste abattu en pleine rue

Le journaliste assassiné était dans le viseur des nationalistes turcs
Le journaliste assassiné était dans le viseur des nationalistes turcs
Le journaliste turc d'origine arménienne Hrant Dink, plusieurs fois poursuivi par la justice turque et devenu la cible des milieux nationalistes, a été tué par balle vendredi par un inconnu à Istanbul.

Selon les chaînes de télévision, quatre balles l'ont frappé,
dont deux à la tête, le tuant sur le coup devant le siège de
l'hebdomadaire «Agos», journal d'expression arménienne que
dirigeait Hrant Dink.

Le Premier ministre condamne

Le Premier ministre turc Tayyip Erdogan a dénoncé une attaque
contre la paix et la stabilité de la Turquie. Citant le gouverneur
d'Istanbul Muammer Guler, l'agence de presse turque Anatolie a
indiqué que trois suspects avaient été arrêtés en relation avec
l'assassinat.



Hrant Dink était connu et respecté dans le milieu de la presse en
Turquie. Il a fait l'objet de plusieurs poursuites en raison de ses
propos sur les massacres d'Arméniens commis sous l'empire ottoman,
qu'il a à plusieurs reprises qualifiés de génocide. Cette position
lui a valu l'hostilité des milieux nationalistes turcs.

Question arménienne très sensible

Les autorités turques considèrant que les massacres d'Arméniens
commis en 1915-1917 ne constituent pas un génocide, Hrant Dink a
notamment été condamné en octobre 2005 à six mois de prison avec
sursis pour «insulte à l'identité nationale turque» après avoir
appelé dans un de ses articles les Arméniens à «se tourner
maintenant vers le sang neuf de l'Arménie indépendante», seule
capable, selon lui, de les libérer du poids de la Diaspora.



Le journaliste Hrant Dink était poursuivi au titre de l'article
301 du code pénal, qui a servi de base à des procédures judiciaires
contre de nombreux intellectuels critiquant la thèse officielle sur
la question arménienne. La question arménienne est particulièrement
sensible en Turquie, qui rejette l'emploi du terme "génocide" pour
qualifier ces incidents survenus pendant les dernières années de
l'empire ottoman.

Menaces de mort

Selon son avocat, Hrant Dink avait reçu des menaces de mort. «Il
m'avait dit qu'il serait tué», pourtant il n'avait pas demandé de
protection à la police, a indiqué Me Erdal Dogan sur NTV.



Le commissaire européen à l'Elargissement Olli Rehn s'est dit
«choqué et attristé». «Hrant Dink était un intellectuel respecté
qui défendait ses positions avec conviction et avait contribué à un
débat public ouvert. C'était un défenseur de la liberté
d'expression en Turquie», a-t-il ajouté, appelant les autorités
turques à «amener les auteurs (du crime) devant la justice». Une
exhortation exprimée également par l'Arménie, qui s'est dite
«profondément choquée», et par plusieurs associations de défense
des droits humains dont Amnesty international.

Manifestations de rue

En soirée, quelque 2000 personnes se sont rassemblées sur la
principale place d'Istanbul pour protester contre le meurtre du
journaliste Hrant Dink. Les manifestants devaient se rendre en
cortège sur le lieu du crime, où étaient déjà rassemblées plusieurs
centaines de personnes.



A Ankara, une manifestation a été organisée par des associations
de défense des droits de l'Homme et des syndicats. Elle a rassemblé
environ 700 personnes.



Agences/cab

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Longue série de meurtres politiques

L'assassinat de Hrant Dink est le dernier d'une longue série de meurtres politiques en Turquie.

Depuis les années 1970, de nombreuses personnalités politiques, intellectuels et journalistes ont été tués dans des circonstances quasi-identiques. Les meurtriers n'ont pour la plupart jamais été retrouvés.

Le dernier en date de ces crimes ne remonte qu'à l'an dernier: un jeune avocat islamiste a tué par balle un magistrat du conseil d'Etat au siège de la Cour à Ankara. Il a immédiatement été interpellé et est actuellement jugé.

Certaines victimes sont devenues emblématiques, comme Ugur Mumcu, écrivain et chroniqueur très populaire du journal de centre-gauche Cumhuriyet. Fervent partisan du système laïc turc, il a été tué en 1993 dans un attentat à la bombe devant son appartement à Ankara.

En 1999, un ancien ministre de la Culture, universitaire et journaliste, Ahmet Taner Kislali a été tué dans la capitale turque dans l'explosion d'une bombe placée sur sa voiture.

Les professeurs Bahriye Üçok et Muammer Aksoy, qui s'opposaient aux mouvements religieux intégristes, avaient également été tués dans des attaques à la fin des années 1980.

Les années 1970 aussi rappèlent de sombres souvenirs aux Turcs, marquées par des assassinats de personnalités de gauche et de droite et par des affrontements sanglants entre militants d'obédience opposées, l'une des raisons invoquées par l'armée pour justifier son coup d'Etat en septembre 1980, neuf ans après un précédent putsch militaire.