Le constat est implacable. Les chiffres sont alarmants. Maire de la ville de Pontiac, dans le Michigan, Deirdre Waterman, elle-même médecin et sur le front sanitaire depuis le début de la crise du Covid-19, parle de données complètement disproportionnées. "Dans l’Etat du Michigan, alors que la communauté noire ne représente que 14% de la population, elle comptabilise à elle seule 33% des cas de coronavirus et 41% de la totalité des décès."
Une tendance confirmée par Brian Williams, un médecin urgentiste engagé dans une unité de soins intensifs de Chicago, l’une des villes les plus touchées par la pandémie - où 70% des victimes sont des Afro-Américains: "Ils sont en moins bonne santé, ils souffrent d’inégalités salariales et d’accès aux soins. Les personnes qui meurent du Covid-19 sont de manière disproportionnée d’origine afro-américaine."
La tendance est nationale. En Louisiane, la communauté noire représente 32% de la population, mais totalise 70% des décès. Cette funeste prévalence statistique se confirme aussi à New York, en Alabama et dans le Maryland. Aux Etats-Unis, les populations pauvres, en majorité des Noirs et des Latinos, sont frappées de plein fouet par la pandémie et font figure de catégorie à risque.
Obésité, malbouffe et pauvreté
Le président Trump en personne a reconnu l’existence de disparités raciales parmi les victimes du Covid-19. "Il y a un vrai problème. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour relever ce défi, c'est un énorme défi. C'est terrible et nous devons fournir un soutien aux citoyens afro-américains de ce pays qui traversent cette période. C'est disproportionné, ils sont très, très durement touchés."
En cause, un cocktail très meurtrier mêlant disparités sociales, métiers socialement plus exposés et des problèmes de santé liés à la pauvreté et à une mauvaise alimentation. "Nous savons que les Noirs sont plus susceptibles d’avoir du diabète, des maladies du cœur et des poumons", déclarait sur CBS le médecin en chef des États-Unis, Jerome Adams, lui-même d’origine afro-américaine. Or, ce type de pathologies, les expériences chinoises et européennes l’enseignent, augmentent fortement le risque de développer des formes graves et mortelles de la maladie.
Fausse rumeur d'immunité
Pourtant, dès l’apparition de la pandémie sur sol américain, une rumeur non avérée mais très tenace a longtemps circulé sur l’immunité supposée des Afro-Américains face à cette pandémie. Une croyance vigoureusement démentie lors d’une conférence de presse, à la Maison Blanche, par Anthony Fauci, l'expert en chef chargé de lutter contre le virus: "Une fois de plus, les Afro-Américains souffrent de manière disproportionnée. Ce n’est pas qu'ils sont plus infectés que les autres, mais ils meurent en plus grand nombre à cause de maladies aggravantes comme le diabète, l'hypertension artérielle, l'obésité et l’asthme. C’est ce qui les conduit en soins intensifs et leur donne un taux de mortalité plus élevé."
Le mois dernier, un drame a ébranlé l'opinion américaine. C’est l’histoire de la tragédie personnelle d'un chauffeur de bus originaire de Détroit, emblématique de cette macabre réalité statistique. Il poste alors sur les réseaux sociaux une vidéo devenue virale où il explique qu'un passager peu scrupuleux a toussé à plusieurs reprises en sa présence, sans aucun respect pour les mesures de distanciation sociale. D’origine afro-américaine, le chauffeur de bus s’appelait Jason Hargrove. Il est décédé quelques jours plus tard, à 50 ans, foudroyé par le coronavirus.
Chauffeurs, mais aussi livreurs, vendeurs, infirmiers, personnel hospitalier, les Afro-Américains sont en première ligne sur le front de la pandémie. Ils paient un très lourd tribut au Covid-19. Ils sont de surcroît moins bien assurés que le reste de la population, en dépit de la loi Obamacare qui, en 2014, qui a pu apporter une couverture sociale à 20 millions d’Américains de condition modeste.
Olivier Kohler/Gaspard Kuhn/asch