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Le défi de la gestion des corps de personnes décédées du Covid-19

Cercueils alignés dans une église de Seriate, près de Bergame en Italie. [AP/Keystone - Antonio Calanni]
Coronavirus: la difficile gestion des corps / La Matinale / 3 min. / le 20 avril 2020
La gestion parfois brutale des corps de personnes décédées du coronavirus, dont les images ont fait le tour des médias, a suscité une vive émotion. Ces pratiques peuvent choquer parce qu'elles ravivent des pensées et des souvenirs traumatisants.

On a vu notamment l'exemple d'une île au large de New York, où de nouvelles fosses communes accueillent les cercueils de personnes emportées par le Covid-19. En Europe, des halles du marché de Rungis ont été réquisitionnées à Paris, des patinoires en Espagne et des églises en Italie.

>> Lire : Des victimes non réclamées du Covid-19 inhumées sur une île à New York

C'est le côté ostentatoire des cercueils ou des corps disposés dans des lieux stratégiques très visibles qui émeut, voire offusque, en premier lieu.

Images de guerre ou de camps de concentration

"Ce sont des images vraiment terrifiantes, qui nous font froid dans le dos", souligne Danielle Voisard, membre du comité romand de l'association suisse des services funéraires. "Cela nous fait penser à la guerre, aux camps de concentration. On n'a peut-être pas le choix, dans certains endroits, mais c'est difficile de mettre des mots sur ce que l'on peut ressentir".

On est en fait dans un schéma d'inhumation transitoire, un acte régi par l'urgence et la peur de la contagion. Le premier ressenti, "c'est que l'on est horrifié par ce que l'on voit. Cela va totalement à l'encontre de ce que l'on a mis en place depuis les années 60, à savoir l'individu qui est honoré, traité, qui a des besoins, et qui est repéré comme un individu unique", explique la thanatologue Alix Noble Burnand.

Les épidémies qui ont marqué l'humanité

L'autre aspect est que l'on a au fond de nous des images liées à notre humanité, à notre culture. "On n'en n'est pas conscients, mais c'est toutes ces images de massacres, de pandémies, d'épidémies, de pestes, qui remontent", poursuit cette spécialiste du deuil et de la mort. "D'un côté il y a le choc monumental de ce que l'on voit, ces fosses communes, et de l'autre côté plein d'aspects de notre mémoire qui ressortent: le nazisme, mais aussi les Hutus et les Tutsis et ces vieilles épidémies de peste qui ont marqué l'humanité de façon extrêmement durable."

Difficile de trouver les mots justes

On parle de fosses communes ou de funérariums temporaires, des mots lourds de sens. On pourrait ajouter les mots "entreposage" ou "dépositoire", employés pour décrire la situation et qui révèlent aussi un malaise.

"C'est un vocabulaire un peu inadéquat, très maladroit", souligne le socio-anthropologue Martin Julier-Costes. "Moi-même, pour le moment, je n'ai pas de langage pour nommer ces choses-là mais ça traduit bien le fait que l'on soit assez mal à l'aise et embarrassés avec un traitement des corps qui est inédit, inhabituel, et qu'on n'a pas l'habitude de gérer dans cette multitude".

L'impossibilité de rites indispensables au deuil

On assiste en fait à une méconnaissance du monde funéraire, liée à la perte d'identité et à la réalité pécuniaire de la gestion des morts. D'où l'importance du rite funéraire, qui est dans le cas présent supprimé ou laissé en suspens.

"Le rite a plusieurs fonctions, mais il a en tout cas une fonction qui est de faire une mise à terre de l'angoisse et de trouver du collectif", rappelle Alix Noble Burnand. "On peut retrouver quelque chose qui va donner une forme de sens rituel, le symbolique, en nous permettant de faire quelque chose".

Face à l'impossibilité immédiate de rites mortuaires et cette sensation d'inachevé, revient souvent la question de l'exhumation des défunts au sortir de la crise, ou en tout cas de leur célébration ou de leur accompagnement.

>> Qu'allons nous faire de tous ces morts? Ecouter également l'entretien avec l’anthropologue Gregory Delaplace :

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Episode 11 : qu’allons-nous faire de tous ces morts ? / La vie aux temps du coronavirus / 22 min. / le 11 avril 2020

Pierre-Etienne Joye/oang

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