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Vidée de ses touristes, Zermatt s'offre une visibilité mondiale

L'artiste suisse Gerry Hofstetter projette des images, ici le drapeau italien, sur le Cervin. [AFP - Fabrice Coffrini]
L'artiste suisse Gerry Hofstetter projette des images, ici le drapeau italien, sur le Cervin. - [AFP - Fabrice Coffrini]
La station valaisanne de Zermatt a les honneurs des médias du monde entier grâce aux drapeaux projetés sur le Cervin par solidarité avec les pays frappés par le coronavirus. Une opération généreuse qui pose quelques questions.

Les images réalisées par l'artiste suisse Gerry Hofstetter ont fait le tour du monde, via les réseaux sociaux et la presse internationale, de CNN à Times of India. Au nom de la solidarité avec les pays touchés par le coronavirus, la station valaisanne, aujourd'hui désertée, envoie ainsi un message d'espoir à tous ceux qui - enfermés chez eux - rêvent d'évasion et de grand air.

Le slogan "Light is hope" ("la lumière, c'est l'espoir", en français) est efficace, et les images si belles que certains ont eu des doutes quant à leur authenticité. Le site anglophone Truth and fiction qui traque les légendes urbaines et autres infos douteuses s'est même fendu d'une vérification.

"Le feedback a été tellement énorme après la projection du drapeau italien, le 1er avril, que nous avons décidé de continuer. Il s'agit pour nous d'utiliser le Cervin, qui est un symbole fort de notre pays, pour envoyer un signe d'amitié", explique Romy Biner-Hauser, à la RTS. Et la présidente de Zermatt d'insister: "Il n'y a aucun intérêt commercial ni politique derrière cette opération".

Une montagne symbolique

De fait, à l'heure où la tendance serait plutôt d'éteindre la lumière pour sauver la planète, la montagne fétiche des Suisses n'est pas le seul monument à être utilisé comme support d'un message aussi symbolique que puissant. La Tour Eiffel à Paris, l'Empire State Building à New York et bien d'autres ont revêtu les couleurs de différents pays.

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"Il y a quelque chose d'universel dans la démarche d'illuminer un monument parce que ça résonne avec l'imaginaire collectif et ça fait penser au cinéma. Tout le paradoxe est d'éclairer et montrer alors qu'on demande aux gens de rester chez eux et ça, c'est possible grâce aux réseaux sociaux", analyse Frédéric Dumonal, directeur de la formation continue chez CREA à Genève.

On éclaire le Cervin, personne n'est là pour admirer le spectacle, mais tout le monde le voit

Frédéric Dumonal, spécialiste en marketing digital

Car si l'opération n'a pas été conçue comme une campagne marketing et communication à proprement parler, elle remporte un succès indéniable sur les différentes plateformes sociales où elle est relayée. "Zermatt va certainement pouvoir capitaliser sur ces images qui sont partagées avec des hashtags efficaces et de portée mondiale", relève Frédéric Dumonal.

Le compte Instagram Zermatt Matterhorn enregistre ainsi entre 10'000 à 12'000 "j'aime" par photo partagée avec des pics pour certains pays: 17'000 pour le drapeau américain et 106'000 pour le drapeau indien, qui bat un record.

Neutralité suisse

Mais avec une telle exposition au public, les projections sur le Cervin n'ont pas manqué de susciter un certain nombre de réactions sur les réseaux. Pourquoi les Etats-Unis et pas la Russie, pourquoi les pays du Golfe et pas l'Iran, se demandent les internautes. "Il n'y a aucune dimension politique à cette opération", répond Romy Biner-Hauser.

La présidente de commune en veut pour preuve la projection - à venir - du drapeau du Népal, un pays avec lequel Air Zermatt travaille pour développer les sauvetages en montagne dans l'Himalaya. "C'est un pays pauvre. On n'a pas de touristes qui viennent de chez eux, mais on veut leur montrer qu'on pense à eux", explique-t-elle.

Le choix des images projetées se fait au fur et à mesure par un groupe défini de personnes et selon certains critères. Entrent en ligne de compte l'importance de la contamination dans le pays et ses liens avec Zermatt. Un texte très consensuel décrit ensuite l'intention derrière chaque image sur le site internet de la commune. Il salue le voisin italien, la communauté portugaise (très présente dans la station), l'Espagne qui doit renoncer aux traditionnelles processions de la Semaine sainte, ou encore Myoko et Fujikawaguchiko, les deux villes jumelles de Zermatt au Japon.

Mais l'art et la communication ne sont pas épargnés par la géopolitique. Il n'a ainsi pas échappé au professeur genevois Hasni Abidi que quelques précautions avaient été prises au moment de relayer le message aux pays du Golfe. Alors que -précisons- les six drapeaux ont été affichés sur le Cervin, les uns après les autres, le soir du 16 avril, deux tweets séparés ont été publiés en arabe.

"J'ai trouvé intéressant que deux tweets différents soient publiés, mettant dans l'un les drapeaux du Qatar, du Koweit et d'Oman, soit les deux Etats qui n'ont pas boycotté le Qatar, et dans l'autre l'Arabie saoudite, le Bahrein et les Emirats", explique le spécialiste du monde arabe. "Je pense que ce n'est pas anodin: Suisse Tourisme reste la voix officielle de la Confédération. Il ne faut froisser personne", avance-t-il.

Ne fâcher personne et accueillir tout le monde c'est le maître mot pour la station qui, avec 2,3 millions de nuitées par an, tient à transmettre un message rassembleur, un peu comme on envoie une carte postale. Ou une invitation à se retrouver bientôt à l'ombre du Cervin.

Juliette Galeazzi

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