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Quand la deuxième vague de Covid-19 frappe, exemple à Singapour

Des travailleurs migrants photographiés dans un dortoir à Singapour, le 6 avril 2020. [Reuters - Edgar Su]
Des travailleurs migrants photographiés dans un dortoir à Singapour, le 6 avril 2020. - [Reuters - Edgar Su]
Plébiscitée pendant plusieurs mois pour avoir su endiguer la contagion, la cité-Etat de Singapour a vu le nombre d'infections au coronavirus bondir au cours des dernières semaines. Cette deuxième vague semble entre autres s'expliquer par un oubli majeur, celui du sort des travailleurs migrants de la ville.

Mardi, les autorités de Singapour ont annoncé le prolongement d'un mois du confinement imposé en avril, soit jusqu'au début du mois de juin.

Cette décision fait suite à une hausse spectaculaire du nombre de contaminations. Alors que le pays a annoncé son premier cas le 23 janvier, le jour de la mise en quarantaine de Wuhan, l'épidémie semblait avoir été très largement contenue au cours des deux mois qui ont suivi. Le 8 mars dernier, seuls 138 cas étaient ainsi recensés.

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Loué pour son esprit d'anticipation et pour la rapide mise en place d'outils efficaces de traçage, le gouvernement n'en a pas moins oublié une catégorie très importante de sa population: les travailleurs migrants. Ceux-ci représentent aujourd'hui environ 70% des nouveaux cas de contamination, qui ont dépassé la barre des 9000 mardi, pour une dizaine de décès.

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Les migrants, une classe oubliée

Des masques distribués à tous les nationaux, des mesures strictes de quarantaine à chaque cas annoncé, le nettoyage intensif des surfaces et des campagnes de prévention massives pour appeler les citoyens à appliquer les mesures d'hygiène et de distanciation sociale. Singapour avait jusqu'à il y a peu encore, tout de l'élève modèle, et les chiffres tendaient à le confirmer.

Fiers de leur succès, certains membres du gouvernement allaient même jusqu'à se faire donneurs de leçons, comme quand Lawrence Wong, ministre du Développement national, évoquait dans les colonnes de Bloomberg sa "préoccupation" avec la Suisse qui "aurait abandonné toute mesure visant à contenir le virus".

Seulement, dans l'ombre des tours de verre futuristes et des jardins luxuriants qui font la réputation de la ville, près de 200'000 travailleurs immigrés continuaient à vivre dans des espaces délétères, entassés dans des dortoirs où les mesures de protection ne sont pas applicables: manque de savon, accès aux prestations de santé limité et promiscuité exacerbée.

Des travailleurs migrants de Singapour photographiés dans leur dortoir. [Reuters - Ministère de la main d'oeuvre de Singapour]
Des travailleurs migrants de Singapour photographiés dans leur dortoir. [Reuters - Ministère de la main d'oeuvre de Singapour]

Souvent originaires d'Asie du Sud, ces travailleurs essentiellement actifs dans le secteur de la construction sont une main d'oeuvre bon marché pour la ville. Ils gagnent en moyenne sept fois moins que le revenu mensuel médian des Singapouriens, soit 430 dollars.

Plusieurs voix s'élèvent désormais pour dénoncer l'orgueil des autorités qui, trop confiantes en leur stratégie, auraient oublié les individus les plus précaires.

Face aux critiques, le gouvernement a depuis tenté de réagir. La semaine passée, la ministre de l'emploi Josephine Teo a annoncé que "la priorité immédiate" était "d'aider les travailleurs résidant dans des dortoirs à rester en bonne santé et de minimiser le nombre d'infections". Lors d'une adresse à la nation, le Premier ministre Lee Hsien Loong s'est quant à lui voulu rassurant: "Nous allons prendre soin de ces travailleurs comme nous prenons soin des Singapouriens. Nous nous occuperons de leur santé, de leur bien-être et de leurs moyens de subsistance".

Le gouvernement a par ailleurs annoncé qu'il allait tenté de réduire le nombre de résidents dans les dortoirs et mettre en place un plan d'aide médicale pour chacun des établissements. Pour l'instant, plus d'une dizaine de ces logements ont été mis en quarantaine forcée. Cette décision se traduit principalement par une interdiction totale de sortie pour les travailleurs, avec des forces de police surveillant les accès.

Gestion de la seconde vague

La seconde vague d'infections au coronavirus n'a par ailleurs pas uniquement touché Singapour. A la mi-mars, des nouveaux cas ont aussi été détectés à Hong Kong et à Taïwan, alors que des nationaux revenaient d'Europe ou des Etats-Unis, au moment où la situation se détériorait. La région administrative spéciale et l'île autonome semblent cependant avoir de leur côté réussi à juguler encore une fois la propagation du virus.

Mais le cas de Singapour semble démontrer que le moindre relâchement dans les mesures sanitaires, un oubli ou encore un angle mort dans la stratégie d'endiguement peuvent mener à une nouvelle flambée des cas. A l'heure où des pays européens et la Suisse mettent en place leurs programmes de déconfinement, il est donc fort à parier qu'ils ont un oeil attentif sur la situation singapourienne.

Tristan Hertig

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Pourquoi un nombre de morts aussi faible ?

Au vu de l'explosion des cas, la dizaine de décès du Covid-19 recensée pour l'instant à Singapour peut paraître anormale. Pour expliquer ce phénomène, au moins deux pistes sont possibles.

D'abord, l'augmentation rapide des infections est récente. Dans la plupart des cas, les patients gravement atteints ne meurent pas de manière rapide. Une fois à l'hôpital, cela peut prendre de nombreuses semaines.

Dans un second temps, et comme nous le mentionnions ici, la majorité des nouvelles personnes infectées sont des travailleurs migrants actifs dans le secteur de la construction. Ils sont dans la plupart des cas relativement jeunes et ont par conséquent moins de chance de développer une forme grave de la maladie.

Pour autant, il apparaît encore actuellement trop tôt pour effectuer une conclusion fiable. Les transmissions en dehors des dortoirs de ces travailleurs ont également augmenté au cours des derniers jours. Il apparaît en l'état impossible d'affirmer avec certitude que des chaînes de transmission intergénérationnelles importantes n'aient pas déjà eu lieu. Si tel devait être le cas, le nombre de décès devrait logiquement augmenter.