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Comment le coronavirus fragilise l'ONU en pleine année anniversaire

Le 75e anniversaire de l'ONU devait être célébré ce 24 avril à l'ONU Genève. [AFP - Dursun Aydemir / Anadolu Agency]
Le 75e anniversaire de l'ONU devait être célébré ce 24 avril à l'ONU Genève. - [AFP - Dursun Aydemir / Anadolu Agency]
L'Organisation des Nations unies (ONU) a organisé un brainstorming mondial pour penser l'avenir à l'occasion de son 75e anniversaire. Un exercice salutaire au vu des dysfonctionnements que révèle la pandémie de Covid-19.

A 75 ans, l'ONU est une vieille dame à bout de souffle. Sclérosée, elle souffre des divisions et rivalités qui gangrènent la grande famille internationale. Elle fait donc partie des institutions à risque face à la pandémie de coronavirus. Et certains ne manquent pas de souligner ses failles, à commencer par le président des Etats-Unis.

Après plusieurs tacles contre le multilatéralisme, Donald Trump a concentré les attaques contre l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) ces dernières semaines, allant jusqu'à la mettre en danger en suspendant la contribution américaine (400 millions de dollars).

>> Lire : Les USA pourraient ne jamais rétablir leur contribution à l'OMS

Depuis, d'autres pays, dont la Chine, ont annoncé l'augmentation de leur participation au budget de cette agence de l'ONU fondée en 1948 pour servir d'autorité directrice et coordinatrice en matière de santé internationale, mais cela suffira-t-il à combler le vide laissé par Washington? Et surtout, quel est le message donné par cette remise en question permanente du rôle joué par les institutions internationales si ce n'est entretenir l'image d'un pachyderme léthargique qui peine à avancer?

Forum mondial lancé

"Ces organisations sont ce que les gouvernements en font ou veulent en faire", rappelle à la RTS Cecilia Cannon, chercheuse au Graduate Institute. "Or, le rôle de l'OMS n'est pas de soigner des gens, mais de coordonner la réponse à la pandémie. Le point quotidien organisé à Genève a par exemple démontré son utilité", souligne-t-elle. "A l'heure des réseaux sociaux, il est facile de bloquer ou arrêter de suivre une personne, mais l'essence même des organisations internationales est justement de se mettre autour d'une table et de discuter pour chercher des solutions".

Chercher des solutions: c'est la mission que s'est donné le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, pour 2020, cette année anniversaire qu'il veut sobre. "Le Conseil de sécurité de l'ONU est presque paralysé", avait-il admis en janvier dans l'émission Géopolitis de la RTS. "Or, sans gouvernance mondiale, nous allons vers une situation effroyable".

Fort de cette conviction, il a lancé un forum mondial, appelant chacun et chacune à réfléchir à l'avenir de la coopération internationale et à la nécessaire réforme des institutions. "Il y a tout de même des choses qui fonctionnent et, surtout, il y a la conscience que seule une gouvernance multilatérale peut permettre d'arriver à un équilibre dans un monde multipolaire".

>> L'émission spéciale de Géopolitis sur les 75 ans de l'ONU :

Géopolitis: Quel monde voulons-nous ? [RTS - Laurent Bleuze]
Quel monde voulons-nous ? / Geopolitis / 34 min. / le 12 janvier 2020

De grands défis à venir

Un sondage mené par les Nations unies, dans le cadre du projet "UN-75", appuie ses propos. Selon les premiers résultats publiés mercredi, 95% des participants, originaires de 186 pays différents, jugent indispensable que les pays collaborent pour régler les grands défis que sont le changement climatique, les migrations ou encore les nouvelles technologies, précise le communiqué. Cette proportion a même légèrement augmenté à la fin février lorsque le Covid-19 a commencé à se répandre. La coopération internationale serait donc plébiscitée par la population.

L'ONU est née de la destruction liée à la Seconde Guerre mondiale et c'est précisément pour les périodes comme celle que nous traversons qu'elle a été créée

Cecilia Cannon, chercheuse au Graduate Institute Geneva

Mais sans le financement américain, l'OMS risque de ne pas avoir les moyens de ses ambitions. Elle sera par exemple moins en mesure de coordonner les efforts internationaux dans la recherche des vaccins, l'achat d'équipement de protection individuelle pour les travailleurs du secteur de la santé ou la fourniture d'une assistance technique et d'experts pour aider les pays à lutter contre la pandémie, estime The Conversation. Pour pallier les baisses de financement des Etats, les agences de l'ONU ont déjà commencé à diversifier leurs sources de revenus, relativise la chercheuse Cecilia Cannon, dans un article publié dans la revue Global Challenges, éditée par le Graduate Institute à Genève.

Enfin un projet de résolution

Il n'empêche que, malgré l'urgence, le Conseil de sécurité est resté largement silencieux depuis le début de la pandémie en raison des fortes divisions entre ses membres permanents, notamment les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Il s'est borné à tenir sa première réunion exclusivement consacrée au coronavirus le 9 avril, à l'initiative de l'Allemagne, et sans adoption d'un texte fort à la clé.

Ce n'est que le 22 avril qu'un projet de résolution corédigé par la France et la Tunisie est enfin arrivé sur la table des négociations pour réclamer - selon un texte obtenu par l'AFP - "une coordination renforcée" face au Covid-19 et une "cessation des hostilités".

Auparavant, le monde entier a assisté aux gesticulations aussi désespérées qu'indispensables du secrétaire général Antonio Guterres qui a appelé tantôt au cessez-le-feu dans les pays en guerre, tantôt à protéger les femmes contre les violences domestiques, avec un écho tout relatif. La preuve s'il en fallait une que les rouages de la machine multilatérale sont rouillés.

Réformes possibles

Mais Cecilia Cannon, qui a fait de la réforme des institutions internationales son objet de recherche, ne cède pas au pessimisme. Pour elle, les tensions actuelles sont l'exemple même de ce qu'est le multilatéralisme. "On a besoin d'une gouvernance globale non pas parce que tout le monde vit en paix, mais justement parce qu'il faut des acteurs pour encourager le dialogue et le consensus. Croire à l'effondrement du multilatéralisme, c'est sous-estimer la capacité des Etats-membres à trouver des solutions", indique-t-elle à la RTS.

Et de citer des exemples de réformes conséquentes déjà menées par l'ONU comme celle du Conseil de sécurité, en 1965, ou de la Commission des droits humains transformée en Conseil des droits humains en 2006. Autrement dit, à en croire cette experte, conseillère scientifique du projet UN-75, la vieille dame qu'est l'ONU n'a pas encore dit son dernier mot.

Juliette Galeazzi

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