Depuis que la pandémie du SARS-Cov-2 s'est étendue à l'immense majorité des pays du monde, les Etats font face à une crise sanitaire sans précédent.
Si le bilan humain est déjà très lourd, avec plus de 233'000 décès liés au Covid-19, les pertes économiques s'avèrent elles-aussi astronomiques. Les coûts restent encore difficiles à évaluer à l'échelle mondiale, mais entre les plans de relance et de soutien à l'activité économique ou encore la mise en place d'un chômage partiel à large échelle dans de nombreux pays, c'est déjà plusieurs milliers de milliards de dollars qui ont été engagés.
Dans ces conditions, il apparaît tentant de trouver un coupable qui "réglerait la note". L'administration Trump s'est mise à la recherche de cet acteur à qui l'on pourrait demander des comptes et, sans véritable surprise, s'est arrêtée sur la Chine.
Pékin dans le viseur de l'administration Trump
Avant d'atteindre l'ensemble des continents, le nouveau coronavirus a débuté son périple entre les mois de novembre et de décembre dans la mégalopole chinoise de Wuhan, capitale de la province du Hubei.
Force est de constater que dans un premier temps, la réponse du gouvernement chinois a été grandement saluée. De la mise en quarantaine express d'une province de 60 millions d'habitants à la création de deux hôpitaux en un temps record, le pouvoir semblait en perpétuelle démonstration de force face au Covid-19.
Mais alors que des cas apparaissaient ailleurs en Asie, aux Etats-Unis et surtout en Europe, l'image d'Epinal de la gestion "à la chinoise" s'est peu à peu fissurée. On apprenait que les autorités avaient censuré plusieurs médecins qui avaient tenté de lancer l'alerte à la fin du mois de décembre ou encore que le gouvernement aurait dissimulé pendant plusieurs jours des informations concernant la transmissibilité du virus.
Au moment où la crise empirait en Europe, puis aux Etats-Unis, les administrations occidentales ont donc commencé à faire preuve de scepticisme.
Ainsi, après plusieurs semaines durant lesquelles Donald Trump n'avait que des propos laudatifs à l'endroit de la République populaire de Chine, le ton a commencé à changer dans le courant du mois de mars. La tension s'est d'abord traduite par une joute verbale, lorsque le président américain a remplacé volontairement lors d'un discours le mot "coronavirus" par 'chinese virus' (cf. 'virus chinois' en français)". Pékin s'est très vite offusqué et la tension n'est jamais retombée entre les deux puissances.
A la mi-avril, l'administration américaine a franchi un cap en suspendant sa contribution à l'OMS, jugeant l'institution onusienne trop proche de la Chine. Mais depuis quelques jours, la virulence des attaques s'est encore accentuée et Donald Trump émet l'idée de demander des "réparations".
Cette menace apparaît peu crédible du point de vue du droit international, mais elle pourrait prendre la forme d'une nouvelle intensification de la guerre commerciale entre les deux pays.
Des leviers américains limités
Aux Etats-Unis, Donald Trump n'est pas le premier à émettre l'idée de demander des réparations à la Chine et certains sont déjà allés plus loin. Le 17 mars, Larry Elliot Klayman, avocat bien connu de la droite conservatrice américaine, a ainsi intenté un recours collectif devant un tribunal de district du Texas. Le 21 avril dernier, c'était au tour du procureur de l'Etat du Missouri d'annoncer le dépôt d'une plainte contre la Chine.
Pourtant, au niveau du droit, ces plaintes n'ont que très peu de chance d'aboutir. Interviewé dans les colonnes du Temps, Marcelo Kohen, professeur de droit international à l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), l'expliquait très simplement: "Il n'existe aucun tribunal compétent pour qu'un Etat puisse introduire une requête contre la Chine." Et d'ajouter, concernant les class actions: "Des réclamations individuelles auprès des tribunaux internes n'ont aucune chance d'aboutir, car la Chine peut invoquer son immunité de juridiction (...) Si un juge s'attribue la compétence et condamne la Chine, sa décision ne pourra être exécutée".
Alors quels outils Donald Trump a-t-il à sa disposition? Selon une enquête du Washington Post, l'équipe qui entoure le président aurait discuté de plusieurs scénarios. Le premier prévoirait la suppression de l'immunité de l'Etat chinois pour permettre au gouvernement américain ou aux autres victimes de poursuivre Pékin dans une procédure de dommages et intérêts. Le second donnerait la possibilité aux Etats-Unis d'annuler une partie de leur dette envers la Chine. Enfin, le troisième, plus traditionnel, serait d'imposer une nouvelle série de taxes douanières sur les importations chinoises. Donald Trump semble d'ailleurs soutenir cette dernière option. Questionné à ce sujet jeudi, il a ainsi évoqué l'idée d'augmenter les taxes pour un montant de 1000 milliards de dollars.
Mais tous ces scénarios comportent des risques et des limites, tant en termes économiques, juridiques que sanitaires. Pour les experts interrogés par le quotidien américain, supprimer l'immunité d'un Etat s'avérerait ainsi extrêmement compliqué et pourrait nécessiter une législation de la part du Congrès. Une telle décision exposerait également les Etats-Unis à des mesures de représailles et abîmerait leur réputation dans le droit international. Annuler unilatéralement la dette pourrait effriter le "caractère sacré du dollar" et les sanctions commerciales susciteraient quant à elles, comme on l'a vu dans le passé, des contre-attaques chinoises qui pourraient également faire du mal à l'économie américaine.
D'autres responsables de l'administration auraient également mis en garde Donald Trump, expliquant qu'il serait contre-productif de chercher à punir la Chine au moment elle envoie des fournitures nécessaires à la lutte contre la pandémie aux Etats-Unis.
Des conseils que Donald Trump n'a pas semblé écouter lorsque jeudi soir, il a à nouveau attaqué frontalement la Chine, prétendant détenir des preuves que le Covid-19 se serait échappé d'un laboratoire chinois et contredisant en cela ses propres services de renseignement qui s'étaient exprimés quelques heures plus tôt.
Avec ces moyens de pressions relativement faibles, on peut donc se demander pourquoi le gouvernement américain met actuellement tant de zèle à attaquer si fortement la Chine. La conviction américaine que Pékin a fait preuve de négligence et qu'il a cherché à dissimuler des informations cruciales sur la portée de l'épidémie semble être une partie de la réponse, mais certains experts américains évoquent également un calcul politique plus froid.
Des attaques contre la Chine en vue de la présidentielle ?
En effet, pour certains commentateurs d'outre-Atlantique, la violence des attaques de Donald Trump à l'égard de la Chine serait le fruit d'une stratégie intérieure.
D'après le Washington Post, certains conseillers auraient ainsi encouragé le président à mettre en place une politique plus agressive envers la Chine, estimant que cela pourrait l'aider politiquement.
Plusieurs sondages suggèrent en effet que l'opinion des Américains sur la Chine serait à un niveau historiquement bas depuis que le Covid-19 a paralysé le pays. Une réalité à un instant T qui est également présente dans les "Swing States", ces Etats qui décident souvent du sort d'une élection présidentielle.
Au milieu du mois d'avril, Joe Biden, candidat démocrate à la présidentielle, avait d'ailleurs déjà utilisé ce mécontentement, en diffusant un clip de campagne qui pointait du doigt la mauvaise gestion de Donald Trump dans cette crise sanitaire ainsi que "sa faiblesse" envers Pékin.
L'élection présidentielle du mois de novembre est encore loin et il est difficile de savoir avec certitude si la Chine restera au centre du bras de fer qui opposera Joe Biden et Donald Trump. Mais les conséquences de cette crise devraient pousser la prochaine administration à se pencher de très près sur l'Empire du milieu et ce, qu'elle soit démocrate ou républicaine.
Tristan Hertig