Du monde sur les terrasses de café, des enfants à l'école et des magasins ouverts: la vie n'a pas beaucoup changé ces derniers mois à Stockholm. En apparence, du moins, car il serait faux de penser que la Suède n'a pas pris de mesures contre le coronavirus.
Mais là où d'autres pays européens ont eu recours à l'armée pour faire respecter les consignes, les autorités suédoises ont misé sur la responsabilité individuelle, se contentant d'encourager le télétravail et la distance sociale. Seuls sont clairement interdits les rassemblements de plus de 50 participants, les visites dans les maisons de retraite et le service au bar.
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La Suède aurait-elle trouvé la recette miracle pour contrer un virus très contagieux et difficile à repérer? Rien n'est moins sûr. Le pays de dix millions d'habitants comptait plus de 2800 décès le 5 mai, selon les autorités sanitaires locales. A population à peu près comparable, c'est plus que la Suisse (1784 morts), mais moins que la Belgique (7924 morts).
Des données en retard
Rapporté au nombre de morts par million d'habitants, même constat. La Suède fait certes mieux que l'Italie, l'Espagne et la Grande-Bretagne, mais son bilan est bien supérieur à celui de ses voisins scandinaves, plus prompts à réagir pour enrayer la propagation du Covid-19.
Pire, avec 22'721 cas testés positifs, le bilan de la Suède devrait encore s'alourdir ces prochains jours. Car les statistiques disponibles ne sont mises à jour qu'au fur et à mesure de leur arrivée. Résultat: il faut attendre 10 à 15 jours pour avoir un tableau précis de la situation, ce qui rend impossible la lecture à un instant T, relève David Steadson, un ancien épidémiologiste qui multiplie les projections sur Twitter.
Santé publique d'abord
Interrogé par la RTS lundi, à l'issue d'une conférence de presse à Stockholm, Anders Tegnell, épidémiologiste en chef de l'Agence de santé publique suédoise, se garde d'ailleurs bien de fanfaronner. "Je ne sais pas si quiconque aura raison à long terme. Des gens meurent partout, c’est une catastrophe mondiale. Nous essayons de limiter les dégâts autant que possible, tout en faisant en sorte que la société fonctionne", explique-t-il. Et son approche est soutenue par plus de la moitié (53%) des Suédoises et Suédois, selon un sondage international publié samedi.
Si on ferme la société, il y a des effets secondaires comme le chômage qui ont aussi une incidence sur la santé. C'est ce que nous essayons d'éviter
La stratégie adoptée par les autorités sanitaires a aussi ses détracteurs. Fin mars, un groupe de 2000 médecins, professeurs et scientifiques a remis une pétition mettant en garde contre une stratégie "risquée". D'autres pays, qui avaient dans un premier temps refusé des mesures trop radicales, ont fait machine arrière. Les Pays-Bas ont fermé bars, restaurants, musées et écoles. Le Royaume-Uni aussi. Mais pas la Suède.
Erreurs reconnues
Avec le civisme populaire et la faible densité de population sur son territoire, il faut dire que le pays est un bon candidat à une expérience de santé publique, observe cette semaine le site web américain Business Insider. Au prix de quelques vies humaines? "Nous ne comptons pas sur des morts maintenant pour en avoir moins plus tard, nous essayons d’avoir le moins de morts possible", se défend Anders Tegnell.
Les maisons de retraite suédoises ont pourtant payé cher sa mauvaise estimation des problèmes rencontrés, elles qui enregistrent la moitié des décès recensés. Des erreurs ont été commises, a reconnu l'épidémiologiste en chef, qui s'est engagé à améliorer la gestion de la crise dans ces établissements.
Même quand on est vieux, un an ou deux de plus, ça a de la valeur
"Si on avait utilisé une stratégie comme la Norvège ou le Danemark, beaucoup moins de gens seraient morts. C'est triste, parce que ces gens, ils auraient pu être soignés et vivre plus longtemps", commente Stefan Hanson, un spécialiste des maladies infectieuses à la retraite, rencontré par la RTS. Et d'insister: "On se voit comme un pays élu, la conscience du monde, mais quand leurs arguments se seront avérés faux, ce sera indéfendable".
Pays à la traîne
Lundi, la Suède faisait partie des cinq pays européens à ne pas avoir franchi le pic de l'épidémie, selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC). "La Bulgarie continuait samedi de voir le nombre de cas progresser, alors que la Grande-Bretagne, la Pologne, la Roumanie et la Suède n'ont enregistré "aucune évolution significative (de leur situation) au cours des deux dernières semaines", a précisé Andrea Ammon, la directrice de cette agence, contredisant les déclarations du gouvernement britannique.
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Et pour savoir dans quel sens évolue la courbe suédoise, il faudra - selon toute vraisemblance - attendre encore une bonne dizaine de jours. Mais déjà l'on sait que la stratégie n'a pas épargné l'économie. Le taux de chômage a légèrement augmenté sur un mois, pour atteindre 8%, selon l'Office suédois de l'emploi, qui fait état d'une hausse des licenciements.
L'information est presque anecdotique en comparaison avec les autres pays européens, mais elle illustre les multiples paramètres à considérer à l'heure de faire les comptes et confirme qu'en Suède, l'heure de vérité n'a pas encore sonné.
Tristan Dessert, Juliette Galeazzi et Marc Renfer (graphiques).