Dans le sillage de l'épidémie de coronavirus qu'on soupçonne d'avoir été transmis à l'homme par un animal infecté, Pékin a suspendu le commerce de gibier à travers le pays.
Les modalités de l'interdiction seront précisées par le Parlement chinois fin mai. On saura alors exactement quelles espèces sont concernées. La question est cruciale pour de nombreux paysans modestes dont tout ou partie du revenu dépend de cette activité.
Reportage à Zisiqiao, plus connu en Chine sous le nom de "village aux serpents". Des millions de reptiles y ont vu le jour la saison dernière mais cette source de revenus a été soudainement confisquée en février dernier.
Changer d'emploi
"La saison devait normalement commencer", explique un homme rencontré dans le village. "Mais cette année, on ne peut pas élever. Tous les certificats de commercialisation ont été retirés. Ce qu'on va faire? Aucune idée, les jeunes devront changer d'emploi, peut-être élever des poissons dans le canal juste à côté…"
Aujourd'hui, il reste très peu d'élevages de serpents dans la région. "J'adore cette viande. Alors parfois j'attrape des serpents et je les cuisine, à l'étouffée, braisés, à la vapeur ou grillés. C'est vraiment très bon. Les gens par ici ont l'habitude, ils ont grandi en mangeant du serpent."
Un autre explique: "On vendait les serpents, soit à des restaurants, soit à des entreprises pharmaceutiques. C'était une source de revenus importants, mais maintenant, on ne gagne plus rien. Pour la suite, on verra, on n'a pas le choix. Il faut obéir au gouvernement."
D'autres n'abandonnent pas. Ainsi, l'élevage de Zhang Jianxin occupe dix personnes. En guise d'enclos, des bâches et des filets derrière lesquels grouillent des milliers de reptiles, dont des vipères très venimeuses, élevées pour leur venin.
Les serpents sont séchés à l'air chaud avant d'être réduits en poudre pour faire des médicaments ou des pommades."Le serpent recèle des trésors! L'huile, c'est pour les cosmétiques, la bile et la poudre, c'est pour les médicaments."
"On nous a laissé les certificats d'élevage, mais les certificats de vente ont été retirés. Mais pour élever, on doit bien vendre! J'espère qu'il y aura des exceptions. Dans tous les cas, on obéira aux autorités nationales. Le plus important, c'est l'intérêt du pays."
Médecine traditionnelle à préserver
Zhang Jianxin rappelle également que la "médecine traditionnelle chinoise est liée à notre culture millénaire et à nos ancêtres. Plusieurs remèdes et formules anciennes sont concoctées à l'aide d'ingrédients issus du serpent. Cela représente aujourd'hui une industrie dans laquelle de nombreuses entreprises sont actives. Perdre ce précieux héritage vieux de plusieurs siècles c'est tout simplement impensable. Je ne pense pas qu'on puisse le sacrifier."
Un sacrifice impensable pour Zhang Jianxin, mais aussi pour Pékin qui promeut sa médecine traditionnelle à l'international. Véritable outil de "soft power", la Chine est parvenue à la faire inscrire dans le recueil de référence de l'Organisation mondiale de la santé.
"La loi en discussion constitue une réelle avancée. Les autorités répondent à un besoin et à une demande répétée de l'opinion publique visant à mieux encadrer, voire interdire la consommation d'animaux sauvages", a expliqué dans l'émission Tout un monde Zhou Zhaomin, professeur à l'institut d'écologie à l'Université de Chengdu. "Mais interdire ne suffit pas. Il faut un suivi, des discussions, des compensations pour soutenir de manière efficace l'interdiction."
Les élevages d'animaux sauvages qui ne sont pas destinés à être consommés seront probablement épargnés, cela concerne les zoos, la médecine, ou la recherche scientifique, a encore indiqué le professeur. "Il faut donc être vigilant et s'assurer que l'interdiction mise en place ne renforce pas un marché noir qui échapperait ensuite à tout contrôle."
Renforcer les contrôles stricts, un défi à long terme dans un pays où la corruption reste endémique.
Michael Peuker/lan