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Sur les traces du nouveau coronavirus entre marché et laboratoire à Wuhan

Chercheurs dans le laboratoire P4 de Wuhan en Chine. [AFP - Johannes Eisele]
Sur les traces du nouveau coronavirus entre marché et laboratoire à Wuhan / Tout un monde / 7 min. / le 6 mai 2020
La majorité des scientifiques pensent que le nouveau coronavirus a été transmis à l'homme par des animaux sur un marché de Wuhan, en Chine, mais l'hypothèse d'une fuite depuis un laboratoire a aussi émergé. L'émission Tout un monde s'est penchée sur la question.

Le nouveau coronavirus serait arrivé en Europe plus tôt qu'on ne le pensait jusqu'ici. De nouvelle analyses montrent qu'au moins un patient français était positif au Covid-19 fin décembre dernier, un mois avant que le pays ne confirme ce qu'il pensait être ses premiers cas. Un scénario similaire a été mis en évidence en Suède, où le virus aurait circulé en novembre déjà.

>> Lire : Une étude fait remonter l'épidémie de Covid-19 en Europe à fin décembre

Ces résultats ont été obtenus en testant récemment des fluides corporels prélevés à l'époque sur ces patients hospitalisés pour des pneumonies. Et à chaque fois, il est possible de retracer un lien entre ces personnes et la Chine.

Deux pistes à Wuhan

Une chose est sûre: le point de départ de l'épidémie se trouve à Wuhan, capitale de la province du Hubei en Chine centrale. La piste la plus fréquemment évoquée est celle du marché de Huanan, au cœur de la ville. Mais une autre hypothèse a aussi émergé: celle de l'accident: le virus se serait échappé d'un laboratoire de haute sécurité.

Le marché aux fruits de mer de Huanan, à Wuhan, a été fermé par les autorités. [EPA/Keystone - Roman Pilipey]
Le marché aux fruits de mer de Huanan, à Wuhan, a été fermé par les autorités. [EPA/Keystone - Roman Pilipey]

Et si cette autre piste a été avancée, c'est parce que Wuhan abrite plusieurs laboratoires scientifiques de haute sécurité, dont un laboratoire P4 (Pathogène 4) dans lequel on travaille sur les virus les plus dangereux (lire encadré).

Installations inaugurées en 2017

Le laboratoire P4 de l'institut de virologie de Wuhan. [AFP - Hector Retamal]
Le laboratoire P4 de l'institut de virologie de Wuhan. [AFP - Hector Retamal]

Seuls certains pays possèdent ce type de laboratoires. C'est le cas notamment de la Suisse, de la France, de l'Allemagne, de la Russie, des Etats-Unis, ou du Canada. Et la Chine en possède un également depuis peu à Wuhan suite à un accord conclu en 2004 avec la France. L'idée, à l'époque, était de soutenir Pékin dans sa gestion des pandémies au lendemain de la crise du SRAS. Le laboratoire a été inauguré en 2017.

"C'est un bâtiment immense, sur quatre niveaux, basé à 30 km au sud de Wuhan. Il est entouré de barbelés, c'est un espace filmé avec des caméras haute définition. Donc c'est une enceinte sécurisée", explique dans l'émission Tout un monde le journaliste Antoine Izambard, qui a pu le visiter en février dernier.

Un laboratoire P3 plus suspect

Ce centre de haute sécurité n'est cependant pas habilité à étudier les coronavirus, mais d'autres dans la région pourraient être en cause. "Pour étayer l'hypothèse d'un accident de laboratoire, il y a le centre de prévention et de contrôle des maladies de Wuhan, qui abrite un P2 et un P3, moins sécurisés que le P4", note Antoine Izambard. "Il fait peser plus de soupçons parce qu'il étudie les coronavirus de chauve-souris et il y a eu des événements qui ont pu faire penser que la sécurité dans ce laboratoire-là était nettement moins forte que dans un P4"

Le journaliste, auteur de l'ouvrage "France-Chine, les liaisons dangereuses" (éditions Stock), précise que ce centre est situé à 300 mètres du marché aux poissons de Huanan qui est considéré comme le foyer premier de contamination. "C'est aussi quelque chose qui a pu alimenter certains soupçons", souligne-t-il.

Plus que des soupçons, les Etats-Unis ont lancé des accusations à ce propos. Le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo a dit récemment avoir des preuves que le virus est parti de Chine, sans les dévoiler.

>> Lire : Mike Pompeo: "Des preuves immenses" que le Covid-19 vient d'un labo chinois

Des technologies aussi à usage militaire

Une chose est sûre: ces laboratoires intègrent des technologies très sensibles, qui peuvent du reste être utilisées aussi à des fins militaires. Elles sont donc un instrument de pouvoir et c'est d'ailleurs ce double usage qui inquiétait certains en France au moment de conclure l'accord de transfert de cette technologie avec Pékin.

"La Chine a également au moins deux laboratoires qui dépendent directement de l'armée", remarque Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la fondation pour la recherche stratégique à Paris. "Et on sait que la Chine n'a jamais eu de grandes réticences pour au moins réfléchir aux questions de guerre biologique", relève cette spécialiste.

Les recherches ont souvent été présentées comme "défensives", c'est-à-dire destinées à développer les capacités de défense en cas d'attaque biologique. "Mais cela permet aussi de développer ses propres capacités", souligne Valérie Niquet, qui est l'auteure de "La puissance chinoise en 100 questions" (éditions Tallandier). "Donc effectivement, en Chine il y a des recherches en la matière qui se poursuivent encore aujourd'hui mais qui ne sont pas - normalement, en tout cas - dans les laboratoires de Wuhan, qui n'étaient pas de niveau militaire".

La thèse d'une erreur technique

Dans la crise actuelle, les scientifiques ont complètement écarté l'idée d'un virus fabriqué. Mais pour Valérie Niquet, la thèse de la fuite, de l'erreur technique, est plausible:

"La question la plus importante, à mon avis, n'est pas tellement celle de savoir si le virus est sorti de ce laboratoire ou si le virus est le fait d'un marché mal tenu avec des conditions sanitaires de mauvaise qualité. Le problème est le même: on est dans un système où l'application des règles est très aléatoire, où il n'y a pas vraiment de transparence, où la corruption existe, où la notion de sécurité sanitaire est très peu présente. Donc c'est le système lui-même qui rend possible ces fuites ou le fait qu'il y ait des négligences au niveau sanitaire, que ce soit dans un laboratoire ou sur un marché".

De son côté, la direction du laboratoire P4 du Wuhan dément les accusations. Mais la Chine refuse toujours qu'une enquête internationale soit menée sur sa gestion de la crise du coronavirus.

Blandine Levite/oangx

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Des laboratoires placés sous haute sécurité

En matière de recherche biologique, une classification internationale des organismes (bactéries, les virus, etc…) fixe quatre groupes de risques, allant de 1 à 4.

"Quand on parle de P1, P2, P3 ou P4, il s'agit du niveau de sécurité dans lequel on travaille avec ces organismes", explique Camille Freyssenet, spécialiste de biosécurité et coordinatrice de la sécurité biologique à l'EPFL.

Les plus sécurisés (P3 et P4) fonctionnent avec des protocoles très contraignants, dès leur construction puis dans leurs activités.

"Dans le P3, on porte une combinaison qui va couvrir le corps entier", note Camille Freyssenet. "Dans un P4, cette tenue ressemble vraiment à une combinaison d'astronaute. L'air vient de l'extérieur par un tuyau branché sur la tenue, qui est en surpression par rapport à l'air du laboratoire".

Les protocoles de travail, les manipulations, sont préparés en sorte rien ne soit laissé au hasard. Et tout ce qui sort du laboratoire doit être décontaminé.