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Un an après la révolution, la faillite menace le Soudan plus que le Covid-19

Soudan: excision, la fin du tabou?
Soudan: excision, la fin du tabou? / L'actu en vidéo / 3 min. / le 12 mai 2020
Peu touché par la pandémie de coronavirus, le Soudan multiplie les efforts pour être retiré de la liste américaine des Etats soutenant le terrorisme. Il en va de la relance de l'économie et de l'avenir du pays.

L'espoir né de la révolution d'avril 2019 s'effrite au Soudan où le gouvernement multiplie les appels du pied et les promesses pour attirer l'attention d'une communauté internationale qui regarde ailleurs. Le Premier ministre Abdallah Hamdok, un économiste qui a travaillé à l'ONU, ne ménage pourtant pas ses efforts.

"Le Soudan manque de moyens financiers pour relancer la machine économique, qui permettent d'importer des biens de première nécessité, mais aussi d'attirer des investissements. Or, un des problèmes souvent mis en avant, c'est que le Soudan se trouve toujours sur la liste américaine des Etats soutenant le terrorisme", indique à la RTS Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS.

Le pays, ainsi privé d'investisseurs étrangers et d'accès aux prêts de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international (FMI), plonge par conséquent chaque jour davantage dans la crise économique, au risque de menacer la paix sociale et la transition politique amorcée depuis le départ du dictateur Omar el-Béchir, au pouvoir depuis trente ans.

Un pays fragile, livré à lui-même

Fin avril, la Haut-commissaire aux droits humains, Michelle Bachelet, soulignait à quel point les Soudanais se voyaient bien mal récompensés pour leur révolution, livrés à eux-mêmes, alors que la pandémie de Covid-19 atteignait l'Afrique. La Chilienne a d'ailleurs fait part de sa crainte que le coronavirus ne fasse basculer le pays, fragile.

Par mesure de précaution, des mesures de confinement ont été prises à Khartoum, la capitale, mais jusqu'ici le Soudan (41 millions d'habitants) semble plutôt épargné avec 1526 cas confirmés et 74 morts, selon l'Université Johns Hopkins.

La seule façon pour le Soudan de sortir de ce cycle de pauvreté et de désespoir est de se libérer des entraves liées aux sanctions imposées à l'époque du gouvernement précédent

Michelle Bachelet, Haut-commissaire aux droits humains

Le coronavirus a néanmoins permis au gouvernement de transition de remonter au créneau pour appeler à davantage de solidarité internationale. Et - autre signal positif - un ambassadeur soudanais a été nommé aux Etats-Unis début mai, une première en 22 ans. Il aura fort à faire pour poursuivre les discussions entamées en décembre par le Premier ministre avec l'administration Trump.

Des tentatives "maladroites"

Est-ce pour détourner l'attention de ces difficultés que le Conseil des ministres a fait passer le 22 avril une loi pour criminaliser les mutilations génitales? Marc Lavergne, qui a enseigné à Khartoum, semble le penser. "C'est tout à fait louable, mais ce n'est pas la priorité de ce gouvernement", commente-t-il.

Le spécialiste de l'Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient précise: les lois restent le plus souvent inefficaces pour lutter contre cette tradition ancestrale. De plus, au Soudan, où 87% des femmes ont subi des mutilations génitales, le sujet ne faisait pas partie des réclamations portées par la révolution de l'an dernier. C'était alors le prix du pain qui avait poussé la population dans la rue, femmes en tête, rappelle-t-il.

>> Lire : Au Soudan, une loi pour mettre fin aux mutilations génitales féminines

"Ce gouvernement fait preuve de maladresse en essayant d'amadouer les pays occidentaux, tant du point de vue des opinions publiques qui ne sont pas mobilisées en faveur de ce nouveau Soudan, que de celui des gouvernements qui ne peuvent pas contrevenir aux sanctions américaines dont le gouvernement américain lui-même peine à se dépêtrer puisque cela se passe devant la justice et qu'il y a une séparation des pouvoirs telle aux Etats-Unis qu'il ne peut intervenir", relève Marc Lavergne.

Six heures d'attente pour le plein

De fait, le gouvernement de transition a hérité d'un Etat en banqueroute et sa marge de manoeuvre est faible. A Khartoum, il faut en moyenne 6 heures pour faire le plein dans des stations-service encombrées, trois heures à la boulangerie. Les bonbonnes de gaz domestique se font rares, les coupures de courant longues. Et ce n'est que l'aspect économique.

La guerre se poursuit dans les régions périphériques comme le Darfour, qui continuent à refuser le pouvoir de la capitale et veulent être entendues par le gouvernement de transition, gouvernement lui-même traversé par de nombreuses divisions entre civils et militaires.

Le 9 mars, le Premier ministre a survécu à une tentative d'attentat, ce qui a renforcé sa popularité dans la population. Il en aura bien besoin ces prochains mois pour continuer à faire vivre une révolution démocratique, sous l'oeil sceptique des voisins du Golfe et de l'Arabie saoudite, le tout dans un contexte d'inflation galopante et dans l'indifférence presque générale.

Juliette Galeazzi

>> Voir aussi le point du 19h30 sur la situation en Afrique :

Le document: l'Afrique est restée à l'écart de la grande vague de contaminations
Le document: l'Afrique est restée à l'écart de la grande vague de contaminations / 19h30 / 2 min. / le 12 mai 2020
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