"Le meilleur conseil à donner à l'Afrique est de se préparer au pire et de se préparer dès aujourd'hui", déclarait le 18 mars le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Un appel à "se réveiller" face au coronavirus et des prévisions alarmantes partagées par des experts sanitaires jusque sur le continent africain.
Deux mois plus tard, l'Afrique a recensé quelque 69'000 cas de contamination et 2300 décès, soit à peine plus de morts qu'en Suisse, selon les chiffres publiés par l'OMS mercredi. Aurait-elle échappé à la crise sanitaire?
"C'est vrai que les chiffres sont étonnamment positifs", explique au 19h30 de la RTS Karl Blanchet, directeur du Centre d'enseignement et de recherche en action humanitaire de Genève (CERAH). "Nous pensons néanmoins que ces estimations sont sous-évaluées de 30 à 40%. Mais on nous a rapporté très peu d'arrivées de patients en mauvaise condition dans les hôpitaux, un signe tout à fait encourageant", précise le spécialiste en systèmes de santé.
Un constat également fait par le CICR au Mali par exemple. "Pour l'instant, nous n'assistons pas à un engorgement des hôpitaux", indique dans l'émission Tout un monde Jean-Nicolas Marti, chef de délégation dans ce pays d'Afrique de l'Ouest. "Le système d'isolation des cas confirmés au Covid-19 tient. Les moyens sont faibles et les mesures d'hygiène parfois compliquées à respecter, mais le système tient parce que le nombre de cas est relativement limité."
L'atout de la jeunesse et de l'expérience des épidémies
Comment expliquer cette situation? Plusieurs hypothèses se dessinent. "Certains évoquent la population jeune en Afrique", note Karl Blanchet. "Sur le continent, l'âge médian est autour des 20 ans, alors que nous sommes autour des 40 ans en Europe." Un atout pour l'Afrique alors que les plus de 65 ans représentent une population à risque face au Covid-19.
"Une autre hypothèse serait celle de 'la troisième vague': les pays africains auraient eu le temps de se préparer, après les premières flambées en Asie et en Europe, et de mettre en place les mesures importantes", ajoute le directeur du CERAH. Et de rappeler que les populations africaines ont l'expérience des maladies infectieuses, tels Ebola ou le choléra. "Elles ont l'habitude de gérer ce genre de situations avec un réseau communautaire, une action collective qui s'est mise en place rapidement cette fois-ci, avec des messages d'hygiène et de distanciation sociale."
Une expérience bénéfique pour la population, mais aussi pour leurs autorités. "Certains Etats, comme le Nigeria, ont des capacités remarquables en termes de contrôle des épidémies", explique Karl Blanchet. "Ils ont l'habitude de les gérer, ils ont des capacités cliniques très importantes, ainsi que des capacités laboratoires pour pouvoir tester et analyser les tests." Des compétences essentielles pour pouvoir ensuite retracer le parcours des personnes infectées et isoler les populations à risque.
Pas d'échappatoire face à la crise économique
A travers le continent, les gouvernements ont répondu au risque de crise sanitaire de manière variée. Messages de prévention, appels au respect de la distanciation sociale, mais aussi couvre-feu nocturne dans certains pays comme le Mali ou le Sénégal, voire confinement, par exemple en Afrique du Sud ou au Rwanda.
Un confinement aux conséquences économiques particulièrement lourdes pour une partie de la région. "En Afrique sub-saharienne, 70 à 90% de la population vit grâce à l'économie informelle, une économie du jour le jour, où on gagne lundi l'argent pour manger le mardi, avec peu voire pas de salariat et de filet social", explique Laurent Bossard, directeur du Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest de l'OCDE.
Dans ces pays, la fermeture des écoles et la limitation des déplacements privent des millions d'écoliers de la cantine scolaire qui est souvent le seul repas convenable de la journée, font augmenter les prix des produits de première nécessité et pourraient faire basculer des millions de personnes additionnelles dans la malnutrition, souligne le spécialiste de l'Afrique de l'Ouest. "Au fond, on essaie de confiner la pauvreté, mais la pauvreté c'est très difficile à confiner. Et quand on y arrive, on exacerbe cette pauvreté", dit Laurent Bossard, rappelant que pour certains observateurs, le confinement pourrait faire plus de victimes que le virus lui-même.
Nombreux sont celles et ceux qui se sont ainsi dit soulagés lors de l'assouplissement de certaines mesures la semaine dernière à Lagos, capitale économique du Nigeria, ou au Rwanda. Un retour partiel à la normale qui a permis à ces habitants de reprendre leur activité.
Mais face à la vie qui redémarre, comme ailleurs sur la planète, beaucoup appellent à la prudence. "Il est important de rester vigilants", dit Karl Blanchet, rappelant les faibles capacités en soins intensifs sur le continent. Déjà touchée par la crise économique, l'Afrique n'est pas encore à l'abri d'une crise sanitaire.
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Tamara Muncanovic