"En Europe, on avait pris l'habitude de la libre circulation, c'était même jugé comme l'un des éléments - avec le programme étudiant Erasmus - les plus positifs", rappelle Michel Foucher jeudi dans La Matinale. "Mais il va falloir qu'on apprenne à vivre avec ce risque et prendre des responsabilités".
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Une fonction prophylactique
Il y a effectivement une pression économique extrêmement forte, constate ce grand spécialiste des frontières, "mais en même temps on a redécouvert que les frontières ont depuis toujours un rôle de cordon sanitaire, ont une fonction prophylactique. Donc, ce que je comprends de la coordination en cours entre pays européens, c'est la nécessité d'étapes progressives et en même temps de clauses de réversibilité, en quelque sorte".
Et si seuls les partis souverainistes défendaient l'idée d'un meilleur contrôle des frontières au départ, d'autres désormais les ont rejoints sur ce point. C'est le résultat d'un constat, dit Michel Foucher, qui met en cause "l'ampleur des flux, tout simplement".
L'exemple des Etats-Unis
L'ancien ambassadeur illustre ce phénomène avec la situation aux Etats-Unis. "Il n'y a pas que la gestion fédérale désastreuse" du gouvernement, relève-t-il. "Entre décembre et février sont entrés aux Etats-Unis 3,4 millions de passagers dont 700'000 en provenance de Chine. La moitié étaient des Américains, des Espagnols, des Italiens, et il y a eu deux millions de Britanniques".
Pour le géographe, l'installation de barrières aériennes était une mesure prophylactique temporaire car "le virus a suivi les passagers, qui sont inscrits dans la globalisation économique, les étudiants, les migrants, les pèlerins, les familles qui se retrouvent, les familles binationales. Et donc, il fallait à un certain moment couper cette circulation".
Selon Michel Foucher, une "bonne frontière moderne, civilisée, entre pays démocratiques, est une frontière ouverte mais contrôlée". Et de rappeler qu'en 2014-2015, il y a déjà eu un rétablissement de contrôles en Europe pour des raisons de sécurité après les attentats terroristes dans plusieurs pays.
D'anciennes lignes de front devenues frontières
Reste que l'idée d'une Europe sans frontières ne doit pas pour autant être abandonnée. "Du point de vue historique, le fait de traverser paisiblement, sans contrôle douanier, policier, sans besoin de changer de l'argent, c'est un progrès par rapport à ce qui fut une ligne de front qui nous a perturbés pendant des siècles", souligne le spécialiste. "Ces anciennes lignes de front sont devenues de paisibles frontières. Donc ça fait sens, politiquement, de dire aujourd'hui qu'on ne se bat plus, qu'on a dépassé les nationalismes, et qu'on peut circuler librement".
Halte au "discours du sans limites"
La question des marchandises, elle, est différente. "La globalisation économique, financière, et surtout technologique, nous tient le discours du sans limites", constate Michel Foucher. "Et ça veut dire qu'on a le droit de tout faire aujourd'hui. On refuse les interdits, et c'est ça qui doit être remis en cause. C'est pour ça qu'on est aussi sensibles, à mon sens, à ce que j'appelle le retour des frontières. C'est comme si c'était insupportable que nous ayons à respecter des limites, des règles et des normes."
Propos recueillis par David Berger/oang