"Le vaccin contre le Covid-19 doit être un bien d'utilité publique et son accès doit être équitable et universel", a déclaré jeudi un porte-parole de la Commission européenne, Stefan de Keersmaecker, au lendemain de propos tenus par l'entreprise pharmaceutique Sanofi. Le président français Emmanuel Macron a estimé qu'un éventuel vaccin ne devait pas être soumis "aux lois du marché". Pour le Premier ministre Edouard Philippe, "l'égal accès de tous au vaccin n'est pas négociable".
Le groupe avait, en effet, prévenu la veille qu'il réserverait probablement aux Etats-Unis la primeur d'un éventuel vaccin contre le coronavirus, car les autorités américaines ont investi dans son développement.
Le laboratoire français, l'un des plus grands spécialistes des vaccins du monde, collabore depuis la mi-février avec l'Autorité pour la recherche et le développement avancée dans le domaine biomédical (Barda), qui dépend du ministère américain de la Santé et qui a apporté 30 millions de dollars.
Les Etats-Unis pourraient ainsi bénéficier d'une avance de plusieurs jours ou semaines, selon le directeur général de Sanofi, Paul Hudson, qui s'exprimait dans un entretien à l'agence Bloomberg.
Réactions indignées
Ces déclarations ont suscité des réactions indignées dans le monde politique français, de l'opposition de gauche à celle d'extrême droite.
Dans le premier camp, le chef de file des socialistes, Olivier Faure, a dénoncé les "jeux du marché", évoquant le bien-fondé d'une nationalisation. Dans le second, Marine Le Pen, patronne du Rassemblement national, a appelé au "patriotisme économique", jugeant que Sanofi "n'est plus une entreprise française". De fait, les actionnaires du groupe sont, à plus de 60%, des investisseurs étrangers.
La polémique a également débordé du monde politique, l'ONG militante Oxfam s'insurgeant contre des informations "tout simplement scandaleuses" et critiquant "la recherche de profits par les géants de l'industrie pharmaceutique".
Garanties obtenues, directeur "désolé"
Face à ces réactions indignées, la secrétaire d'Etat à l'Economie, Agnès Pannier-Runacher, et le ministre de la Santé Olivier Véran ont assuré avoir contacté Sanofi et obtenu de lui la garantie qu'un vaccin serait accessible à tous. Il est vital qu'une fois au point, le vaccin soit disponible partout dans le monde, a dit jeudi Paul Hudson, directeur général de Sanofi.
Il s'est dit désolé que ses remarques aient soulevé une telle polémique, mais a jugé nécessaire qu'un véritable débat ait lieu en Europe pour faire en sorte que la recherche progresse plus vite et a ajouté que Sanofi avait fait pression en ce sens pendant des mois.
De fait, le monde "ne sera pas démuni" si un laboratoire comme Sanofi trouve un vaccin, a approuvé le virologue Bruno Lina, membre du conseil scientifique français, tout en regrettant de devoir systématiquement accéder à une "préférence nationale" aux Etats-Unis. Car Sanofi n'exclut toujours pas l'éventualité de distribuer d'abord un vaccin aux Etats-Unis et, seulement ensuite, dans les autres pays dont l'Europe.
L'Union européenne face à ses responsabilités
Théoriquement, "l'objectif, c'est que le vaccin soit disponible à la fois aux USA, en France et en Europe de la même manière", a promis jeudi le patron du groupe pour la France, Olivier Bogillot, dans un entretien à BFMTV. Mais, dans les faits, cela sera possible "si les Européens travaillent aussi rapidement que les Américains", a-t-il précisé.
Le responsable de Sanofi a ainsi renvoyé les autorités européennes à leurs responsabilités, soulignant que les Etats-Unis avaient déjà promis plusieurs centaines de millions d'euros, en plus de faciliter les démarches réglementaires pour permettre les recherches.
"Les Américains sont efficaces en cette période. Il faut que l'Union européenne soit aussi efficace en nous aidant à mettre à disposition très vite ce vaccin", a insisté Olivier Bogillot, rapportant en être au stade de "pourparlers" avec les autorités européennes ainsi que des pays comme la France et l'Allemagne.
Le ministre de la Santé Olivier Véran a, à ce titre, expliqué, lors d'un déplacement à Lyon, être en train de travailler à une "alliance" avec d'autres pays européens pour faciliter le développement d'un vaccin.
agences/jpr
Un vaccin d'ici 18 à 24 mois
Quant aux recherches elles-mêmes, où en sont-elles ? Le responsable de Sanofi a confirmé qu'il tablait toujours sur un vaccin prêt d'ici à 18 à 24 mois, soulignant à quel point un tel calendrier était rapide par rapport à la normale. En temps normal, "développer un vaccin, ça prend dix ans", "on essaie d'accélérer toutes les phases".
L'autorité européenne du secteur, l'Agence européenne des médicaments a, elle, évoqué jeudi un possible vaccin d'ici un an, mais prévenu qu'il s'agissait du scénario le plus optimiste dans la course aux vaccins.