Félicien Kabuga, 84 ans, considéré comme le "financier du génocide rwandais", a été arrêté samedi matin près de Paris, ont annoncé le parquet général de Paris et la gendarmerie dans un communiqué commun. Il était l'un des principaux accusés encore en fuite avec Protais Mpiranya, qui commandait la garde du président rwandais Juvénal Habyarimana, et l'ex-ministre de la Défense Augustin Bizimana.
Il est visé par un mandat d'arrêt du Mécanisme international, la structure chargée d'achever les travaux des tribunaux internationaux pour le Rwanda (TPIR). L'homme d'affaire est notamment accusé d'avoir créé les milices Interahamwe, principaux bras armés du génocide de 1994 qui a fait 800'000 morts. Il fut l'une des pièce-maîtresse du massacre des Tutsi, en mettant sa fortune et ses réseaux au service du financement des tueries, selon l'acte d'accusation de la justice internationale; il est accusé d'avoir joué un rôle central dans la propagande du génocide (lire encadré).
Cette arrestation "est un rappel que ceux qui sont responsables du génocide peuvent être amenés à rendre des comptes, même 26 ans après leur crimes", a déclaré Serge Brammertz, principal procureur du Mécanisme international.
L'arrestation de Félicien Kabuga met également "en lumière la force de notre détermination," a-t-il ajouté.
Le procureur a remercié les autorités judiciaires françaises sans "la coopération et le savoir-faire exceptionnels" desquelles cette arrestation "n'aurait pas été possible". Sans les citer, il a également remercié d'autres pays et organisations internationales ayant aidé à l'arrestation, dont Interpol et Europol.
Une longue enquête internationale
Félicien Kabuga a été interpellé lors d'une "opération sophistiquée et coordonnée avec des recherches simultanées dans un certain nombre de lieux", menée à l'aube, par les gendarmes de l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité (OCLCH), appuyés par le groupe d'observation et de surveillance de la gendarmerie d'Ile-de-France et un peloton d'intervention de la garde républicaine.
Son arrestation est le fruit d'une longue enquête menée par l'OCLCH, le parquet général près la cour d'appel de Paris, le bureau du procureur du Mécanisme international, en coopération avec la police fédérale belge et la Metropolitan Police Service, la police londonienne, précise le communiqué.
De nombreux proches le disaient mort depuis des années, mais Félicien Kabuga "résidait sous une fausse identité dans un appartement d'Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), grâce à une mécanique bien rodée et avec la complicité de ses enfants", a précisé le parquet.
"C'était un vieux monsieur qui avait du mal à marcher. Il vivait là depuis 3 ou 4 ans, c'était quelqu'un de très discret. Il ne parlait pas , il marmonnait quand on lui disait bonjour", a déclaré Olivier Olsen, président du syndic de l'immeuble.
Transféré à La Haye
Il devrait être transféré à La Haye pour y être jugé, une fois "les procédures" requises par la législation française "achevées", a affirmé le procureur.
Le "financier" du génocide rwandais est visé par un mandat d'arrêt du Mécanisme international et, selon les autorités françaises, il faisait partie des "fugitifs les plus recherchés au monde".
Félicien Kabuga est notamment mis en accusation pour "génocide", "incitation directe et publique à commettre le génocide" et "crimes contre l'humanité (persécutions et extermination)".
Stéphanie Jaquet et les agences
Félicien Kabuga, un proche du président Habyarimana
Fils de modestes paysans, Félicien fut d'abord un petit commerçant ambulant dans sa région natale de Byumba, dans le nord du pays, où il vendait cigarettes et vêtements de seconde main sur le marché. Travailleur et déterminé, il s'installa à Kigali où il ouvrit divers commerces.
En 1994, il était réputé être l'homme le plus riche de son pays. Sa réussite était telle que, dans les villages du Rwanda profond, un paysan plus aisé que les autres était surnommé "Kabuga".
Son entrée dans le sérail fut définitivement scellée lorsqu'en 1993, une de ses filles épousa le fils aîné du président Juvénal Habyarimana. Il était également le beau-père de celui qui au moment du génocide était ministre au Plan, Augustin Ngirabatware, dont la condamnation à 30 ans de réclusion fut confirmée en 2019.
En 1994, Félicien Kabuga appartenait au cercle restreint du président rwandais Juvénal Habyarimana dont l'assassinat, le 6 avril 1994, allait déclencher le génocide.
La radio télévision des Milles collines
Il présidait la tristement célèbre Radio télévision libre des Mille collines (RTLM), qui diffusa des appels aux meurtres des Tutsi, et le Fonds de défense nationale (FDN) qui collectait "des fonds" destinés à financer la logistique et les armes des miliciens hutu Interahamwe, selon l'acte d'accusation du TPIR.
Membre du parti présidentiel, le Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND), il crée pendant le génocide, avec d'autres hommes d'affaires, le Fonds de défense nationale (FDN), dont il prend la tête.
Le FDN, créé dans le but de fournir assistance au gouvernement intérimaire pour combattre les Tutsi et les Hutu modérés, devait servir à l'achat d'armes et d'uniformes pour les milices hutu Interahamwe et l'armée dans tout le pays.
Il est également accusé d'avoir "ordonné aux employés de sa société (...) d'importer un nombre impressionnant de machettes au Rwanda en 1993", avant de les faire distribuer en avril 1994 aux Interahamwe. On l'accuse d'avoir directement supervisé les massacres commis par les Interahamwe de Gisenyi (nord-ouest) et Kimironko, un quartier de Kigali.
Réfugié en Suisse puis expulsé
Réfugié en Suisse en juillet 1994 avant d'être expulsé, Félicien Kabuga avait ensuite temporairement rejoint Kinshasa. Il avait été signalé en juillet 1997 à Nairobi, où il avait échappé à une opération destinée à l'arrêter, puis à une autre en 2003, selon l'ONG spécialisée TRIAL.
Selon le communiqué des autorités françaises, il aurait également vécu en Allemagne et en Belgique. Les Etats-Unis avaient promis une récompense pouvant aller jusqu'à cinq millions de dollars pour sa capture. Recherché depuis 1997, Félicien Kabuga aura passé plus de 20 ans en cavale.
D'autres suspects
La justice internationale a prononcé plusieurs dizaines de condamnations allant jusqu'à la prison à vie, mais aussi des acquittements, dans des procès en lien avec le génocide rwandais.
Différents pays ont également renvoyé des suspects devant leurs propres tribunaux.
En France, où ont été condamnés trois Rwandais pour génocide, un procès est ainsi prévu à l'automne contre un ancien chauffeur d'hôtel franco-rwandais, Claude Muhayimana, accusé d'avoir transporté des miliciens Interahamwe sur les lieux des massacres.
En Belgique, Fabien Neretsé, un ancien haut fonctionnaire rwandais reconnu coupable de "crime de génocide", avait pour sa part été condamné à 25 ans de réclusion en décembre 2019.