A Innsbruck, les membres de la famille Ultsch sont des acteurs incontournables de l'hôtellerie depuis cinq générations. Jamais elle n'avait traversé une telle crise. "Lors des deux guerres mondiales, la crise n'est pas venue d'un coup, mes ancêtres ont pu s'y préparer un peu. Mais avec le coronavirus, nous avons dû fermer du jour au lendemain", déplore Harald Ultsch, propriétaire de plusieurs hôtels.
Du sommet de l'un de ses établissements offrant une vue imprenable sur la ville, il contemple le tremplin de saut à ski olympique qui la domine et symbolise tous les espoirs: le décollage du tourisme, qui rapporte au Tyrol la moitié de ses revenus. Avec l'ouverture des frontières, c'est désormais possible.
"C'est bien de visiter les montagnes des autres!"
"Nous avons besoin urgemment de nos clients allemands et suisses. C'est réjouissant qu'ils puissent finalement venir. Cela nous encourage à rouvrir l'hôtel", confie Harald. "Certes, comme les Suisses, nous avons des montagnes, mais c'est bien aussi de visiter les montagnes des autres!"
Le charme alpin, les centres historiques, la gastronomie et l'hospitalité font la renommée du Tyrol. Frontalière avec la Suisse, la région peut se targuer d'une offre comparable, mais de 20% à 30% moins cher. Et les Helvètes sont réputés excellents clients. "Eux au moins, ils ne partagent pas une salade à deux!", plaisante un autre restaurateur.
La malédiction d'Ischgl
Le Tyrol est la région autrichienne la plus touchée par le coronavirus. L'une de ses stations d'hiver les plus connues est aussi notoirement devenue un foyer pandémique européen. Le village alpin d'Ischgl, qui accueille chaque saison des centaines de milliers de visiteurs du monde entier, est tenu pour responsable de la contamination de plus 10'000 touristes à travers l'Europe.
Surnommée "Ibiza des Alpes" en raison des soirées endiablées dans ses nombreux bars d'après-ski, la station est au cœur de la polémique. La promiscuité dans ces bars aurait notamment contribué à la propagation du virus. L'un de ces lieux, le Kitzloch, est même devenu synonyme de "ground zero" de la contamination. Un barman y a été testé positif le 7 mars, devenant le premier cas officiellement confirmé.
"Certains experts nous disaient que les précautions étaient exagérées, d'autres que le risque était mortel", explique Bernhard Zangerl, gérant du Kitzloch, une propriété de sa famille. "C'était très difficile d'évaluer le risque et nous avons fait confiance aux experts qui nous disaient que nous pouvions rester ouvert, en changeant l'équipe et désinfectant complètement les lieux".
Plainte collective contre les autorités
Mais les touristes infectés demandent aujourd'hui des comptes. Une association de consommateurs en Autriche a lancé une plainte collective contre les autorités tyroliennes. Plus de 5000 touristes, dont une centaine de Suisses, les accusent d'avoir tardé à réagir.
"Elles savaient déjà à la fin février et début mars qu'il y avait des cas suspects dans le village, mais personne n'a rien fait", avance Kaspar Dörig, un retraité lucernois qui se trouvait à Ischgl début mars. Selon lui, le motif est à chercher du côté de la peur des pertes financières liées à une fin prématurée de la saison.
C'est aussi l'opinion de Georg Dornauer, chef du parti social-démocrate du Tyrol et leader de l'opposition dans la région. "Le parti conservateur du Tyrol est lié trop étroitement aux intérêts du tourisme", affirme-t-il. Si le chancelier conservateur autrichien Sébastien Kurz a mis en garde contre la tentation de jeter la pierre à son parti, une commission parlementaire a néanmoins été mise sur pied au Tyrol avec des expert suisses pour enquêter sur l'affaire.
Miser sur un tourisme de qualité
A Ischgl, on profite de l'entre-saison pour faire un peu d'introspection et, surtout, réfléchir à comment redorer une image sérieusement écornée. "Désormais nous voulons miser davantage sur le tourisme de qualité", explique le maire d'Ischgl Werner Kurz. "Nous voulons éviter les visiteurs qui viennent uniquement pour la fête et rappeler que nous avons une excellente gastronomie, un merveilleux paysage et un superbe domaine skiable à cheval sur la Suisse".
Un grand chantier attend Ischgl et le Tyrol pour rétablir la confiance des touristes. A Innsbruck, Christophe Walser, président de la chambre du commerce pour la région, propose d'équiper tous les hôtels avec des kits de dépistages rapides du coronavirus: "Ainsi, nous pourrons tester les collaborateurs et les clients afin d'isoler tout de suite les cas positifs et éviter toute future contamination".
Laurent Burkhalter/oang