Dans son livre "The Precipice", qui vient de paraître en anglais aux éditions Bloomsbury, le philosophe moral Toby Ord de l’Université d’Oxford examine les différentes menaces représentant un risque existentiel pour l'humanité, soit "les risques d'extinction complète de l'humanité ou d'effondrement permanent de la civilisation."
Il y a d'abord les risques naturels, comme les astéroïdes. Il y a 65 millions d'années, une météorite de plus de 10 kilomètres de diamètre frappe la Terre et conduit à l’extinction des dinosaures. Toutefois, la probabilité que cela se reproduise dans le siècle à avenir est très faible.
"Les scientifiques ont vraiment pris la mesure du risque, ils ont identifié 95% des astéroïdes qui présentent un risque potentiel de destruction de la civilisation, explique Toby Ord. Et même en cas de choc, il y a de bonnes chances pour que l'on survive. Donc j'évalue le risque posé par les astéroïdes et les comètes à 1 sur 1'000'000 dans les 100 prochaines années."
Il y a d’autres risques naturels, comme les méga éruptions volcaniques, qui projettent des cendres dans l’atmosphère pendant plusieurs années, ou, plus rare, le risque d'une explosion d’étoile qui projetterait des rayons gamma – une forme très dangereuse de radiation. Mais de manière générale, Toby Ord est relativement serein face aux risques naturels.
"La bonne nouvelle avec les risques naturels, c'est qu'on sait que l'humanité a déjà survécu 200'000 ans, donc le risque par siècle n'est pas si élevé que ça. Globalement, j'estime la probabilité pour les risques naturels de nous faire disparaître à 1 sur 10'000 par siècle."
Quand l'humanité se menace elle-même
Si les risques naturels ne représentent pas une menace trop importante pour l'humanité, il en va autrement pour les risques anthropogènes, qui résultent de l'activité humaine. "La croissance exponentielle de notre pouvoir technologique pendant ces 200'000 années a finalement atteint un point où nous sommes devenus des risques pour nous-même. Et en même temps, notre sagesse en tant qu'humanité n'a que très lentement évolué pendant cette période, et nous ne sommes pas suffisamment sages pour assurer notre sécurité."
Il y a évidemment le risque de guerre nucléaire. Depuis la première explosion atomique en 1945, la liste est longue des incidents ou des erreurs humaines qui auraient pu avoir des conséquences catastrophiques – la crise des missiles à Cuba en 1962 étant l'exemple le plus frappant. Malgré tout, le risque nucléaire n’est pas le plus élevé, selon Toby Ord. "Les experts qui étudient ce qu'on appelle l'hiver nucléaire pensent que même si cela serait dévastateur, il serait peu probable que cela engendre la fin de l'humanité."
Il en va de même pour le changement climatique, qui pourrait être encore plus élevé que prévu. Selon Toby Ord, le réchauffement de la planète aura des conséquences dramatiques, mais ne devrait pas provoquer l’extinction de l’humanité. Le philosophe estime à 1 sur 1000 la probabilité que le climat et le nucléaire réduisent à néant l'humanité lors des 100 prochaines années.
Intelligence artificielle et pandémies
Pour l'auteur de "Precipice", les plus grandes menaces viennent d'autres domaines. Il pointe notamment du doigt l'intelligence artificielle. Pour lui, il y a 10% de risque qu'elle mène à notre perte dans le siècle à venir.
"Les spécialistes les plus pointus du secteur estiment à 50% la probabilité de développer dans les 100 prochaines années une intelligence artificielle générale, capable de faire toutes les professions humaines. Et si nous créons quelque chose de plus intelligent que nous dans cet énorme éventail d'activités, on doit se poser cette question: pourquoi l'humanité garderait le contrôle de sa destinée?"
Les moyens d'occasionner des dommages sérieux avec des armes biologiques croîtront plus rapidement que les possibilités de les prévenir
Reste encore les risques liés aux pandémies. Pour Toby Ord, les pandémies d'origine naturelle, comme celle du nouveau coronavirus, ne représentent pas un risque existentiel. En 200'000 ans d’histoire humaine, il y en a eu un nombre très important – entre autres la peste noire au XIVe siècle qui a tué un tiers de la population en Europe – mais les humains sont toujours là. Il est davantage préoccupé par les pandémies "manufacturées" dans des laboratoires où des scientifiques font des recherches risquées.
"Les scientifiques font des expériences pour rendre les agent pathogènes encore plus létaux afin d'être mieux préparés. Mais il y a un risque que ces agents s'échappent des laboratoires. C'est une préoccupation sérieuse, et on devrait être plus prudent avec de telles recherches."
"Mais ce qui m'inquiète surtout, ce sont les acteurs malveillants, que ce soit les programmes nationaux qui développent des armes biologiques ou des organisations terroristes, qui auraient accès à ces armes. Les moyens d'occasionner des dommages sérieux croîtront plus rapidement que les possibilités de les prévenir."
Une éthique sur le long terme
Face à ces menaces, Toby Ord parle d’une forme de négligence ou d'indifférence de la part des gouvernements: "On dépense davantage pour les crèmes glacées que pour la prévention des risques existentiels." Il insiste sur la nécessité d’une prise de conscience et de développer une éthique sur le long terme.
"Nous devons réaliser que nous ne représentons qu'une toute petite partie de l'histoire et avenir de l'humanité. Quand nos gouvernements prennent aujourd'hui des décisions, celles-ci seront subies par des personnes qui ne sont pas encore nées, c'est le cas pour le changement climatique par exemple. Et ces personnes à venir sont privées de leur droit. On pourrait faire bien davantage pour que nos systèmes politiques prennent compte les effets prévisibles qui les affecteront."
Sujet radio: Patrick Chaboudez
Version web: Antoine Schaub